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Le sort des réfugiés au Japon mis en lumière par un «couac» des autorités de Tokyo

En épinglant des tags via Twitter, les services de l’immigration de Tokyo font involontairement apparaître la détresse des requérants d’asile et des réfugiés au Japon.
Migrants

Le 20 novembre, le compte Twitter officiel du Bureau régional de l’immigration de Tokyo a déclenché un débat en ligne après avoir épinglé un tweet accompagné de trois photos d’un pont tagué dans le centre de Tokyo – le pont Konan. Bien que ce tweet ait été conçu pour s’élever contre les tags1>Contenu du tweet: «Cessons tous de taguer. Trouvé de bonne heure le 19 novembre, sur le pont Konan. Si la liberté d’expression est primordiale, ceci est une propriété publique. Ça ne vous attriste pas un peu?»., c’est le contenu même du tag photographié qui a éveillé l’intérêt des internautes. Le message (en anglais) était «Libérez les réfugiés»; ce qui a été généralement compris comme une critique implicite du traitement réservé par l’administration publique chargée de l’immigration aux réfugiés, travailleurs sans papiers et autres migrants en détention. Le compte du Bureau de l’immigration de Tokyo publie habituellement des tweets anodins annonçant ses heures d’ouverture, qui reçoivent peu de réponses ou de retweets. Celui du pont Konan, en revanche, a suscité une réaction démesurée, avec près de 3000 retweets et 700 commentaires [au 21 novembre].

Le Japon accepte très peu de réfugiés et de demandeurs d’asile chaque année. En 2017, le pays a accordé le statut de réfugié à seulement 20 requérants sur 19 629. Les demandeurs d’asile sont souvent détenus ou séparés de leurs familles dans l’attente d’une décision sur leur statut.

Ce n’est pas la première fois que la politique migratoire japonaise essuie les critiques. Depuis 2006, quatorze détenus sont morts dans les centres japonais de détention de migrants, soit une personne par an en moyenne. Quatre des décès les plus récents ont été des suicides. Le point de mire des condamnations par les défenseurs japonais des droits humains est le centre d’Ushiku dans la préfecture d’Ibaraki [nord-est de Tokyo], pour son taux élevé de décès de détenus. Le Bureau de l’immigration de Tokyo s’est également rendu célèbre en octobre dernier pour sa participation à une émission télévisée de divertissement… sur les rafles et les expulsions de migrants.

Bon nombre de réactions aux récents tweets ont souligné que les tags imploraient le Bureau tokyote de libérer réellement les migrants détenus (requérants en attente de statut, personnes dont le visa a expiré ou sous le coup d’un ordre d’expulsion). D’autres s’en prenaient aux conditions de détention imposées aux détenus – maltraitance, durée de détention indéterminée…: «Vous pouvez toujours effacer les tags et remettre les choses en état, mais une vie [perdue] ne revient jamais.»

Dans un tweet partagé des centaines de fois, Hibi Yoshitaka, professeur de l’université de Nagoya, a pointé du doigt le Bureau de Tokyo pour avoir incriminé des tags qui ne faisaient que dénoncer son calamiteux bilan en matière de droits humains: «J’étais tellement en colère que j’ai retweeté le tweet [du Bureau de l’immigration]. Il est impossible pour quiconque contrôle le compte Twitter du service d’ignorer les actes inhumains commis contre les migrants détenus. Masquer leurs véritables intentions, faire semblant de désapprouver les tags, et même aller jusqu’à épingler le tweet sur leur page de profil. Evidemment que ce n’est pas bien de taguer, mais que dire de la maltraitance infligée aux détenus?»

Dans son fil Twitter, M. Hibi a partagé des liens vers divers ouvrages et articles expliquant la situation désespérée des migrants détenus au Japon, dont un article du 5 novembre 2018 du Tokyo Shimbun qui détaillait comment 17 détenus ont été enfermés vingt-quatre heures dans une cellule prévue pour 6 dans un centre de rétention de migrants d’Osaka. M. Hibi a également partagé un article émanant d’une agence de presse de la préfecture de Nagano qui détaille comment les autorités japonaises de d’immigration recourent de façon croissante à des mesures punitives – telles que la mise à l’isolement de longue durée afin de contrôler les détenus – et comment la détention appliquée aux personnes dont le visa a expiré, qui se pratique officieusement, est employée à des fins dissuasives.

Parmi les réactions populaires au tweet épinglé, on retrouve également un lien vers un article du journaliste Shiba Rei, paru en mai 2018, qui décrit les conditions de détention des demandeurs d’asile kurdes de Turquie au Japon: «Le Bureau de l’immigration de Tokyo a-t-il complètement oublié ses protestations contre les violations des droits humains? Si taguer n’est pas bien, il est nécessaire de reconnaître un système [d’immigration] violent qui provoque des suicides.»2>Shiba Rey, «Détention à l’isolement, absence de soins médicaux entraînant la mort et nourriture avariée: comment le Bureau de l’immigration de Tokyo s’en prend aux demandeurs d’asile», Yahoo! News, mai 2018.

Le Japon projette d’augmenter spectaculairement le nombre de stagiaires temporaires étrangers dans les prochaines années. Mais du fait que ces stagiaires travaillent pour des salaires réduits, souvent dans la précarité, beaucoup pourraient être tentés de fuir leurs emplois et de travailler au noir, enfreignant les termes de leurs visas.
Autant dire qu’encore plus de personnes pourraient se retrouver prises au piège dans le système japonais de détention migratoire: détenues de longues années et au péril de leur vie.

Notes[+]

Article paru sur le site Global Voices (CC), trad. Suzanne Lehn, fr.globalvoices.org

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