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Ruraux et indigènes ne voient pas d’amélioration

La Via Campesina est impliquée dans le processus de paix en Colombie. Fin novembre 2017, le réseau international a envoyé pour la seconde fois une délégation dans le pays afin de recueillir les témoignages des populations et des communautés rurales. Tour d’horizon de Philippe Sauvin, qui a participé à cette mission.
Colombie

Les accords de paix en Colombie devraient mettre fin au conflit armé «interne» le plus ancien du monde qui a causé des centaines de milliers de victimes et des millions de personnes déplacées. Le paramilitarisme et le trafic de drogue se sont développés à grande échelle en connivence avec les gouvernements successifs et la répression militaire était féroce. Les origines du conflit étaient les justes et ancestrales revendications des populations rurales et communautés indigènes pour l’accès aux terres agricoles, la justice sociale et la participation démocratique à la gestion du pays et ses ressources.

La Via Campesina a été mandatée par les signataires des accords de paix (gouvernement colombien et FARC) pour l’accompagnement du processus de paix signé le 24 novembre 2016 à Bogotá sur le point 1 du processus, relatif à la réforme rurale intégrale, qui est en relation directe avec le point 4 concernant le remplacement des cultures d’usage illicite. Ce mandat s’exerce conjointement avec le PNUD (Programme des Nations Unies pour le développement), la FAO (Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture) et l’Union européenne.

La Via Campesina a organisé une seconde délégation en Colombie (1), composée de délégué-e-s de dix-neuf pays, fin novembre 2017 pour recueillir les témoignages des populations paysannes et des communautés. Les délégué-e-s ont sillonné cet immense pays et se sont rendus, outre dans la capitale Bogotá, dans cinq régions – Arauca, Meta, Cauca, Caquetá et Nariño – qui ont été gravement touchées par le conflit armé.

La délégation a pu constater que les accords de paix sont accueillis avec espoir et soulagement. La fin de la guerre est ressentie comme un tremplin essentiel vers une société plus juste qui devrait mettre fin aux inégalités sociales criantes et à la pauvreté, et comme l’avènement d’une participation démocratique et la fin de la violence institutionnelle.

Malgré tout, le désenchantement et le découragement sont perceptibles car, un an après la signature, les engagements pris ne se concrétisent pas sur le terrain.

En bref, ce sont principalement les populations et communautés rurales qui ne voient pas d’améliorations: la réforme agraire n’avance pas, les terres promises ne sont pas mises à disposition ni légalisées, la pression sur les terres par l’agriculture industrielle et les exploitations minières s’accentue. La répression contre les producteurs de cultures illicites (coca, chanvre) reste violente sans que le remplacement de ces cultures se fasse d’une manière concertée. Les voies d’accès pour la commercialisation de la production agricole sont insuffisantes et l’absence d’infrastructures de santé est flagrante. L’insécurité augmente car le vide créé par la démobilisation des FARC a fait place à la présence de bandes armées. Plus de cent vingt leaders communautaires et paysans, syndicalistes et ex-combattants ont été assassinés depuis un an sans que les responsables aient été traduits en justice.

La délégation a en outre constaté les lenteurs administratives, le retard des programmes de développement et la réticence de la majorité de droite parlementaire à voter les lois qui découlent des accords de paix. Les futures élections législatives et présidentielles de mars et mai 2018 ne laissent pas augurer le soutien déterminé nécessaire.

La Via Campesina, pour sa part, s’engage à diffuser ses observations auprès des organisations pour appuyer la mise en œuvre d’une économie agricole et paysanne dans le cadre des accords de paix, à soutenir le processus sur place par la formation de personnes à l’agroécologie, la création de banques de semences, à organiser des brigades internationales et à favoriser des jumelages avec des communautés paysannes, indigènes et espaces territoriaux de formation et réincorporation des FARC.

Si le processus de paix réussit et si les droits humains sont rétablis, la Colombie pourra servir de modèle à tout le continent latino-américain et au reste du monde.

* Délégué de la Coordination européenne de La Via Campesina.
1) Une première mission de solidarité avec la Colombie a eu lieu en septembre 2016.

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