Le mirage «No Billag»
Au début des années cinquante, les pionniers qui créent la télévision en Suisse peuvent s’appuyer sur le service public de la SSR pour lancer le nouveau média. Un service public qui vit d’une redevance répartie équitablement entre les régions linguistiques.
En soixante ans, nous avons pleinement rempli notre rôle culturel de créateurs et notre profession sociale et citoyenne d’informateurs libres et indépendants en réalisant une offre programme avec des milliers de reportages, de documentaires, d’émissions d’information et d’enquêtes d’investigation qui ont fait découvrir la Suisse aux Suisses et amené la diversité des images du monde dans tous les foyers. Les spectateurs de la TV romande ont pu aussi suivre plus de 600 dramatiques originales et une centaine de téléfilms inédits avec des acteurs suisses, des opéras, des concerts, des divertissements, une offre cinématographique et des évènements culturels ou sportifs qui ont rassemblé devant le petit écran les Suisses dans un sentiment d’appartenance citoyenne à la communauté helvétique. Sans oublier que depuis 1960, situation unique en Europe, la Suisse était complètement arrosée par les chaînes étrangères qui font encore une terrible concurrence à notre service public helvétique.
Face aux géants des chaînes publiques et privées en une seule langue de nos grands voisins, les réalisateurs, les journalistes, les techniciens et 5000 autres collaborateurs du service public suisse réussissent à gérer des chaînes radio et tv en quatre langues pour le petit marché de notre pays de 8 millions d’habitants. Ils apportent une contribution globale à notre société et à la démocratie par leur professionnalisme qui est reconnu internationalement par une participation active à l’Union Européenne de Radio-Télévision, à l’Eurovision et au sein des réseaux francophones et germanophones de TV5Monde, 3Sat et Swissinfo.
Partout dans le monde, la presse et les médias sont aujourd’hui bouleversés et menacés par la révolution technologique, internet, les réseaux sociaux, la numérisation et les algorithmes. Avec l’illusion que tout est gratuit ou qu’au mieux on ne paie que ce que l’on consomme… ce qui sera toujours plus cher que la redevance unique! Ce XXIe siècle est celui de la connectivité et de l’interdisciplinarité. Aucun acteur ne peut seul résoudre ces problèmes. Il faut réfléchir et trouver collectivement les réponses à ces défis. Les médias, presse et audiovisuels suisses, publics et privés, sont condamnés à se remettre en question mais ne survivront qu’en se réorganisant et en collaborant activement.
Ce n’est hélas pas ce qui se passe avec l’initiative «No Billag». Elle veut purement et simplement supprimer la redevance SSR pour céder la place au libre marché privé de la concurrence qui prétendument ferait mieux et meilleur marché. On passerait du «nous» de la communauté au «je» des consommateurs. Un oui à «No Billag» signifierait la disparition rapide et totale du service public suisse, la perte d’un précieux savoir professionnel et pénaliserait aussi les radios et tv locales qui reçoivent une part de la redevance. Le vide créé laisserait le champ libre aux chaînes étrangères qui privent déjà chaque année les médias suisses de plus de 100 millions de francs de revenus publicitaires sans investir en retour un seul centime dans des productions suisses.
On nous demande de lâcher la proie pour l’ombre. Un dicton populaire nous rappelle «qu’un tien vaut mieux que deux tu l’auras». C’est pourquoi je voterai «non» à «No Billag».
* Cinéaste et réalisateur TSR, web editor et historien des archives RTS, aujourd’hui retraité.
Article paru dans CultureEnJeu n° 56, décembre 2017, édition spéciale quadrilingue «No Billag», www.cultureenjeu.ch