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Quel commerce avec l’Inde?

Devenu un acteur incontournable sur l’échiquier du commerce international, l’Inde est aujourd’hui un pays de plus en plus important pour l’avenir de l’économie suisse. Mais ce succès ne peut pas cacher les dures conditions de vie et de travail de centaines de millions de personnes.
Libre-échange

En juin 2017, les délégations des pays de l’AELE (Association européenne de libre-échange, dont sont membres la Norvège, l’Islande, le Liechtenstein et la Suisse) et de l’Inde se sont retrouvées à Malbun, au Liechstenstein, pour la 16e ronde de négociations du futur traité de libre-échange.

Lancées en 2008, ces discussions avaient été suspendues en 2013 à cause de l’opposition de l’industrie pharmaceutique suisse. L’été passé, lors de la visite officielle à Genève du premier ministre indien, Narendra Modi, la décision a été prise de reprendre les négociations pour un accord bilatéral. L’enjeu est stratégique: l’Inde représente pour la Suisse le troisième partenaire économique en Asie et la Suisse est pour l’Inde le cinquième partenaire commercial au niveau international, le premier en Europe. Les principaux biens et services échangés sont les métaux précieux, les machines industrielles, les produits chimiques et pharmaceutiques, la construction, les services financiers, les produits textiles et agricoles.

Selon les chiffres officiels, l’Inde affiche un taux de croissance du PIB d’environ 7,5% par an, un taux de chômage de moins de 5% et un niveau d’inflation de plus de 9%. Comme tous les pays ayant choisi une économie libérale de marché, l’Inde accumule cependant les inégalités: si l’homme le plus riche du pays possède une fortune personnelle déclarée d’environ 20 milliards de dollars, en même temps l’Inde compte encore près de 400 millions de personnes en condition de pauvreté, soit un quart de sa population. Par ailleurs, plus de la moitié des actives-ifs travaillent dans le secteur primaire (pêche et agriculture), et le revenu mensuel brut moyen est de 128 dollars par mois et par habitant-e. Ces chiffres montrent donc une économie en développement mais très inégalitaire.

Depuis son lancement, l’accord de libre-échange a été contesté par nombreuses ONG suisses et indiennes, mais aussi en Norvège. Les contestataires pointent en premier lieu le danger d’abandonner le système multilatéral comme régulateur des échanges commerciaux au niveau international. La préférence donnée par la Suisse aux accords bilatéraux montre plutôt la volonté politique de vouloir affaiblir les règles prévues au niveau international, en minant la capacité de coalition des pays du Sud. Plus précisément, les ONG suisses, soutenues par le mouvement syndical, demandent au Conseil fédéral de satisfaire les demandes suivantes.

Il faut d’abord analyser de manière neutre, indépendante et publique l’impact de l’accord, surtout du point de vue social, environnemental et de la lutte contre la pauvreté. Le Conseil fédéral doit aussi ouvrir la consultation à la société civile et aux syndicats (il n’a pour le moment consulté que les représentant-e-s des multinationales suisses). Le processus démocratique doit être respecté, notamment par la participation active du parlement. Les objectifs de l’aide au développement doivent ensuite être coordonnés avec ceux de la politique commerciale, vu l’énorme divergence de ces deux axes de la politique extérieure suisse. Toute référence à la défense de la propriété intellectuelle et des brevets doit être exclue, notamment dans le secteur agricole et pharmaceutique. La Suisse doit enfin s’abstenir de demander la libéralisation du secteur financier indien.

Entre-temps, deux importantes campagnes de dénonciations continuent à être soutenues par le mouvement syndical. La première vise Holcim, pour la violation grave des droits des travailleuses-eurs indien-ne-s, et la seconde Syngenta, qui continue à produire et à vendre sur le marché indien un produit chimique mortel, le Paraquat.

Un traité soumis au référendum

Si le traité de libre-échange entre la Suisse et l’Inde est conclu et ratifié par les Chambres fédérales, il devrait être soumis au référendum facultatif. Jusqu’à présent, il existait une pratique voulant que les traités de libre-échange ne soient pas soumis au référendum si leur contenu était similaire à celui d’un traité ratifié antérieurement et qui avait été soumis au référendum facultatif. C’est sur cette base que le traité de libre-échange entre la Suisse et la Chine n’était pas attaquable par référendum. Le Conseil fédéral a décidé en juin 2016 d’abandonner sa pratique et de soumettre dorénavant tous les nouveaux traités de libre-échange au référendum facultatif. A. THIÈRY, pagesdegauche.ch

* Communauté genevoise d’action syndicale (CGAS). Paru dans Pages de gauche n° 165, automne 2017, pagesdegauche.ch

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