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Peine de mort, vers un moratoire universel ?

La Journée contre la peine de mort, le 10 octobre dernier, a été l’occasion de faire le point sur l’application de la sentance capitale dans le monde. Si une tendance abolitionniste se dessine dans le monde, certains pays envisagent toutefois de la rétablir, après des années de moratoire. Eclairage.  

Le 10 octobre a été déclaré Journée pour l’abolition de la peine de mort. A cette occasion, les ministres des Affaires étrangères d’Allemagne, Autriche, Liechtenstein, Luxembourg et Suisse ont publié une déclaration commune «Tous ensemble pour un monde sans peine de mort». Très engagé sur ce dossier, l’ex-conseiller fédéral Didier Bürkhalter voit venir un moratoire universel d’ici 2025. Le mouvement abolitionniste touche maintenant les grandes firmes pharmaceutiques qui ne veulent plus fournir les substances létales aux Etats-Unis pour les exécutions. Mais il y a encore du travail.

Les pharmas ne veulent plus exporter aux Etats-Unis des produits qui sont utilisés pour les exécutions de condamnés à mort. Même la firme américaine Pfizer refuse de vendre ses produits aux Etats américains qui pratiquent la peine de mort, de même que Roche et Novartis. Ce sont des initiatives privées, mais elles ont le soutien des Etats de l’Union européenne qui ont édité un règlement dans ce sens. La Suisse a fait de même, mais son texte n’entrera en vigueur qu’à partir de 2019.

S’agit-il d’un «sursaut moral» de la part des entreprises privées? Selon Samia Hurst, éthicienne en matière de santé, «le marché en question est heureusement minuscule alors que les coups portés à la réputation sont potentiellement très grands». Elle ne croit pas «qu’il existe un véritable sens moral collectif des entreprises»; mais il y a «une gêne réelle et grandissante, même de la part des producteurs, à l’idée de détourner des moyens médicaux pour tuer»1 value="1">M. Musadak: «La pharma lâche la peine de mort»; Le Courrier, 10.10.17. Aux Etats-Unis, le producteur du Midazolame s’indigne d’une utilisation détournée de son produit. Ce puissant sédatif utilisé en Arkansas pour exécuter les condamnés s’est révélé très problématique en raison des longues souffrances qu’il entraîne.

Suite à leurs difficultés d’approvisionnement, certains Etats confectionnent des cocktails plus ou moins aléatoires qui échappent à tout contrôle vu que le secret sur les recettes et les fournisseurs est bien gardé. Ces méthodes pourraient être jugées contraires à la loi, puisque la peine de mort n’est acceptable, selon le droit, que si elle est exécutée sans cruauté et de façon digne. Sans la potion létale admise précédemment, la Cour suprême pourrait donc revoir la loi qui légalise la sanction suprême. A fortiori, elle pourrait interdire le retour aux pelotons d’exécution, envisagé dans certains Etats.

La Journée contre la peine de mort, le 10 octobre dernier, a donné l’occasion de faire le point sur l’application de la sentence de mort dans le monde. Si la peine de mort a disparu d’Europe, excepté en Biélorussie, et si une tendance dans ce sens se dessine dans le monde, on constate avec inquiétude que certains pays envisagent de la rétablir ou de l’appliquer à nouveau, après des années de moratoire.

Il faut rappeler, avec le Conseil des droits de l’homme de l’ONU que le protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l’homme et au Pacte international relatif aux droits civils et politiques exige des Etats qui l’ont ratifié qu’ils renoncent définitivement à prononcer et à appliquer cette peine. Dans leur déclaration commune, les ministres des Affaires étrangères d’Allemagne, d’Autriche, du Liechtenstein, du Luxembourg et de Suisse réaffirment que l’application de la peine capitale est discriminatoire car «La peine de mort frappe souvent les personnes pauvres car celles-ci n’ont pas les moyens de se défendre efficacement contre des accusations». De plus, ajoutent-ils, «Des études scientifiques prouvent qu’elle ne dissuade ni les criminels ni les terroristes. Au lieu de prévenir la violence, la peine capitale ne fait que l’accroître. Si elle peut satisfaire un désir de vengeance, elle n’apporte aucune réparation aux victimes et à leurs proches. La peine de mort aggrave même les problèmes au lieu de les résoudre». Ils en appellent à son abolition, et, pour l’heure, à un moratoire universel qui constituerait un premier pas appréciable2 value="2">Déclaration des ministres des Affaires étrangères (DE, AT, LI, LU, CH): Le Temps; 10.10.17..

L’Assemblée parlementaire de la Francophonie, qui s’est tenue en juillet 2017 à Luxembourg et à laquelle sept parlementaires fédéraux ont participé, a également centré ses débats sur cette question. Interviewé, Christian Levrat [conseiller aux Etats et président du Parti socialiste suisse], qui y participait, mentionne avec inquiétude les pays où la peine de mort est en extension, comme le Vietnam. Il redoute surtout de nouvelles formes de mise à mort, telles que les exécutions extrajudiciaires, qui se répandent en réponse à la montée du terrorisme3 value="3">K. Packiry; «La peine de mort s’éteint à petit feu», Le Courrier, 10.07.17..

Aujourd’hui, 141 pays ont aboli la peine de mort en droit ou dans la pratique, contre 64 en 1997. Le nombre d’exécutions est en baisse (1634 en 2015, contre 1032 en 2016). Mais le nombre de condamnations à mort dans le monde augmente: (1998 en 2015 contre 3117 en 2016). Les pays qui l’appliquent le plus sont la Chine, l’Iran, l’Arabie Saoudite, l’Irak et le Pakistan. Les Philippines et la Turquie veulent la rétablir4 value="4"> T. Jacolet; «Une tendance à l’abolition jamais acquise», Le Courrier, 10.07.17..

Notes[+]

Cet article est paru dans le bulletin Infoprisons de novembre 2017. www.infoprisons.ch

Opinions Agora Anne-Catherine Menétrey-Savary

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