Chroniques

No Billag

A rebrousse-poil

J’ai lu avec attention l’argumentaire de ceux qui sont à l’origine de cette initiative1 value="1">L’initiative No Billag, en votation le 4 mars 2018, vise la suppression de la redevance radio-TV, ndlr..

Première constatation: ce document a tout d’un texte traduit par des personnes qui font peu de cas du français, donc de ceux qui le pratiquent. En souvenir de mon père, suisse alémanique, qui m’a toujours fait sourire avec des approximations langagières, j’éprouve plutôt de la sympathie pour nos cousins d’outre-Sarine lorsqu’ils s’emmêlent les pieds dans les subtilités de notre langue. Mais ceux-là poussent le bouchon un peu loin: je relève 26 fautes d’orthographe ou de syntaxe dans ce message officiel destiné aux francophones. Et on a laissé en allemand les libellés des tableaux statistiques.

Et ils assurent que les minorités seraient respectées si leur initiative était acceptée…

Deuxième constatation: les rédacteurs sont de toute évidence des familiers du matraquage publicitaire, qui ne font pas dans la subtilité. En effet, l’adjectif «coercitive» est répété 46 fois, pour qualifier «la redevance»! Au cas où le citoyen-consommateur n’aurait pas compris au bout de vingt fois.

Voilà pour la forme. C’est anecdotique.

Pour le fond, quelques passages me réjouissent: «Plus personne ne doit être forcé de payer pour quelque chose qu’il n’a pas commandé et qu’il ne veut pas consommer». Je n’ai pas demandé qu’on achète des avions de combat, je n’ai pas d’enfant à l’école, et je n’emprunte jamais l’autoroute entre Zurich et Winterthur: trois choses pour lesquelles je paie des impôts depuis longtemps, et que je ne consomme pas. Puis-je demander un remboursement? Puis: «Les entreprises qui bénéficient d’un monopole grâce à l’Etat ont tendance à produire de façon inefficiente.» On fait allusion à l’armée? Ça m’en a l’air. Et même on insiste: «Avoir une large partie de son revenu assuré fait de vous une entreprise inefficiente et qui tend au gaspillage.» Plus loin, «salaire des cadres». S’élevant contre l’indécence de certains d’entre eux, les initiants tonnent: «Il est primordial de mettre fin à ces privilèges.» Bravo! D’accord!… Mais hélas, on parle des cadres d’une seule société, la SSR, en se gardant bien de toucher à ceux des banques, des assurances, des pharmas. Me v’là déçu…

Certaines affirmations m’amènent sérieusement à me demander sur quelle planète vivent ces gens. Citations, pour rire un peu:

«Le marché des journaux est très diversifié en Suisse. Il permet l’existence d’une diversité qui laisse à chacun le choix…» Marché diversifié tenu, c’est connu, par Ringier et Tamedia. A moins que ce soit par Tamedia et Ringier…

«Dans un pays libre, démocratique, un média d’Etat n’a pas lieu d’être.» Qu’en dit-on au pays de Radio France, de la BBC, de la RAI, de Radio Canada, de la RTB?

«Cette manne financière [l’argent de la redevance] permettrait à diverses entreprises, concurrentielles, de gagner des parts de marché et de créer de l’emploi.» Et donc de rendre du travail à ceux qui ont été virés de L’Hebdo, du Temps, du Matin?

Tirant à boulets rouges sur la SSR, nos penseurs assènent: «Un média peut exercer cette critique des puissants du pays, uniquement si elle (sic) en est indépendante (sic)». Une télévision privée, elle, pourra donner une information impartiale sur un gros actionnaire, par exemple sur une multinationale de l’alimentation ou des pesticides, ou sur un ex-conseiller fédéral?

Confiants, ils se projettent après leur victoire: «La diversité des opinions serait garantie même si un monopole venait à apparaître.» Donc un monopole pourrait renaître. Mais en mains privées, où lui serait irréprochable, et nous mènerait droit au Paradis!

Ces esprits supérieurs passent comme chat sur braise sur toutes les chaînes locales qui disparaîtraient également2 value="2">Lire l’excellent article de Séverine André, «Crash info», dans Vigousse du 27 octobre 2017., pour se concentrer sur l’abominable SSR. Ayant ressassé leur credo ultralibéral, ils finissent par jeter le masque: «La SSR sert de tribune à la caste politique des défenseurs de l’Etat.» Voilà! Voilà leur ennemi! Ce n’est pas la SSR, qu’ils toléreraient affaiblie, privatisée. Non, ce qui leur donne des cauchemars, c’est l’Etat et ses défenseurs, ce sont tous ceux qui osent faire barrage à la privatisation de toute la société. En bref, c’est la démocratie!

Si leur démagogie ne les rendait pas dangereux, ces individus me feraient doucement rigoler.

Il leur a fallu répéter 46 fois «coercitive». Il me suffira d’un mot, et d’une fois, pour qualifier leur initiative: «obscurantiste».

Notes[+]

Opinions Chroniques Michel Bühler

Dossier Complet

Votations fédérales du 4 mars 2018

lundi 4 décembre 2017
Deux objets sont soumis à la votation populaire: l’initiative «Oui à la suppression des redevances radio et télévision (No Billag)» et l’arrêté fédéral concernant le nouveau régime financier...

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