Chroniques

Bouillotte

Une femme commande un texte sur la disparation d’une bouillotte après la mort de son père.

J’ai commencé le lendemain de l’enterrement de papa, un samedi glacial de novembre. Je me suis dit qu’il fallait que je m’y mette tout de suite car sinon, je ne m’y mettrais jamais. Je voulais en finir, tourner la page. Les derniers mois, cela avait été très pénible, pour lui surtout, bien sûr, mais aussi pour moi, je m’étais mise entre parenthèses. Je voulais être là pour lui, l’accompagner dans cette dernière étape.

J’ai d’abord ouvert en grand toutes les fenêtres de la maison pour faire partir l’odeur de maladie; j’ai ramené la morphine et les autres médicaments à la pharmacie, jeté les bandages, fait une machine avec ses draps et ses habits de malade. Ça allait déjà un peu mieux, mais il restait beaucoup à faire. Parce qu’il gardait tout, papa. Après la mort de maman, il avait refusé de se débarrasser de quoi que ce soit et avait continué à accumuler des tas de choses dans tous les coins de la maison. J’ai cru devenir folle quand j’ai découvert la quantité de sachets de sucre récupérés au café, les sacs en plastique remplis d’autres sacs en plastique, les factures, les lettres et les cartes postales qui débordaient des tiroirs. Tout ce qu’il avait conservé avec l’idée que cela pourrait lui servir une fois.

J’étais triste et j’avais froid. J’ai remis une bûche dans le fourneau. Enfant, j’avais toujours eu froid dans cette maison en bord de forêt, plongée dans le stratus la moitié de l’année. Seules les pièces du bas bénéficiaient de la chaleur du poêle et je montais me coucher au dernier moment, les pieds gelés. Pendant l’hiver, papa m’apportait la bouillotte en fonte du fourneau, la glissait entre mes draps et restait un moment sur la chaise à côté de mon lit pour discuter des petites choses qui remplissaient nos journées.

Je n’ai pas réussi à remettre la main sur la bouillotte. Papa l’avait sans doute donnée à réparer. J’en ai pleuré. Ça fait deux ans maintenant que papa est parti. La maison a été vendue et la bouillotte n’est jamais revenue. Mais j’aime l’idée que le mystère ne sera jamais résolu. MH

Opinions Chroniques collectif d’auteurs Caractères mobiles

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Chroniques de Montricher

lundi 17 juillet 2017
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