Chroniques

Le Tour au village

Un lecteur, qui a vu le Tour de France passer devant sa maison, commande un texte sur le vélo.

Quand débute la 8e étape du Tour de France, Gilbert ne tient plus en place. Il sort de chez lui et file en direction de la place des fêtes. C’est là, sur la route du Mont-Tendre, que doit se décider  l’arrivée du Tour au village. Le terrain est assez vaste pour accueillir le podium, les cabines des commentateurs et les bus des vingt-deux équipes. Un jour à la télévision, un journaliste a annoncé la superficie minimale pour accueillir le village étape du Tour : sept hectares. Gilbert a alors arpenté la place des fêtes en comptant ses pas : le compte est bon, estime-t-il. Puis il a poursuivi ses calculs, effectué mille pas en direction de la sortie du village, pour savoir où serait installée la flamme rouge, en rase campagne.

Sur la place des fêtes, Gilbert bouillonne : aujourd’hui, la 8e étape du Tour arrive à quarante kilomètres de là, de l'autre côté de la crête du Mont-Tendre ! Gilbert croit entendre le bourdonnement de l’hélicoptère. Les spectateurs s’agglutinent contre les barrières, ils tambourinent sur les panneaux publicitaires, agitent des drapeaux au-dessus de la chaussée barrée des noms des champions inscrits à la craie. Le speaker s’époumone. Voilà le peloton qui déboule sur la rue du Champet, un dernier virage à gauche, piégeux, il s’engage sur la route du Mont-Tendre, le sprint est court, en faux plat montant. Gilbert pense qu’il favorise les grosses cuisses du peloton : emmené par son poisson pilote, André Greipel, alias le Gorille de Rostock, doit faire parler sa puissance et enlever l’étape d’un boyau.

Dans la maison voisine, Pierre s’ennuie devant la retransmission de la 8e étape du Tour. Il a les jambes lourdes, la faute à son long tour à vélo du matin. 80 bornes à 80 ans : Pierre n’en est pas peu fier. Histoire de se dégourdir les jambes, il quitte son fauteuil, ouvre la fenêtre, puis se cache derrière le rideau sitôt qu’il aperçoit Gilbert sur la place des fêtes. Pierre sait pertinemment que Gilbert déteste qu’on le regarde quand il est occupé à son Tour imaginaire, et il n’a pas envie que Gilbert arrête son numéro qui est bien plus distrayant que cette interminable 8e étape : Gilbert frappe dans ses mains d’un coup sec puis se retourne brusquement, il brandit son poing devant sa bouche et fait mine de parler dans un micro, sa mâchoire comme déboîtée par l’enthousiasme. Puis Gilbert se met à courir à grande vitesse, penché en avant, les deux mains agrippées à son guidon imaginaire, et Pierre sait qu’à cet instant, le Gorille de Rostock est sur le point de remporter l’étape. BP

Opinions Chroniques collectif d’auteurs Caractères mobiles

Dossier Complet

Chroniques de Montricher

lundi 17 juillet 2017
Dans le cadre d’une résidence d’été à la Fondation Michalski, le collectif d’auteurs Caractères mobiles écrit des textes littéraires sur commande pour vous, lectrices et lecteurs du Courrier, sur...

Connexion