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Partis socialistes et pouvoir (2/3)

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La Suisse sort de la guerre avec la grève générale qui commence le 12 novembre 1918, soit un jour après la cessation des hostilités. La mobilisation est mieux suivie dans la partie alémanique du pays qu’en Romandie ou au Tessin. Les autorités réagissent violemment, accusant les grévistes de vouloir fomenter une révolution, et envoient l’armée occuper les villes et les centres industriels en choisissant des contingents issus des zones rurales afin d’éviter les risques de fraternisation. Parmi les revendications des grévistes, certaines seront appliquées dans les années ou les décennies suivantes, comme l’élection au système proportionnel du Conseil national en 1919, la limitation de la semaine de travail à 48 heures hebdomadaires imposée dans les règlements du travail et la loi sur les fabriques entre 1919 et 1920 (avec toutefois de nombreuses exceptions), l’instauration d’une assurance vieillesse en 1948 et invalidité en 1960, ainsi que les droits politiques pour les femmes en 1971.

En Allemagne, la défaite du Kaiser laisse la place à un nouveau régime, la République de Weimar. Les socialistes du SPD forment le nouveau gouvernement alors que les dissident-e-s du parti réuni-e-s dans la Ligue spartakiste provoquent des soulèvements dans tout le pays. Ils seront rapidement écrasés par les forces armées aidées des corps francs. Les deux leaders du mouvement, Rosa Luxemburg et Karl Liebknecht, sont assassiné-e-s. La division au sein du SPD entre une aile gauche révolutionnaire et une aile prête à assumer le pouvoir dans le cadre de la nouvelle république recoupe les positions au sujet de la guerre. Les spartakistes forment ensuite le noyau du Parti communiste allemand en choisissant de suivre Lénine et d’adopter les 21 conditions qui les rallient aux bolchéviques et à une nouvelle organisation internationale communiste, le Komintern. La République de Weimar fait du SPD un véritable parti gouvernemental. Exclu-e-s avant 1914 des administrations publiques, les socialistes les investissent massivement. Mais le gouvernement ne parvient pas à endiguer la crise économique que connait le pays dans les années 1920, due en grande partie aux réparations de guerre imposées par les puissances victorieuses à l’issue du conflit de 1914-1918. Le pays est à plusieurs reprises au bord de la guerre civile. Les affrontements entre communistes et groupes d’extrême droite (dont les nazis) prennent place dans la rue et ne se terminent qu’avec l’arrivée au pouvoir du NSDAP. La brutale répression des opposant-e-s qui fait suite à l’incendie du Reichstag, en février 1933, inaugure douze ans de violences sous la dictature.

En France, la scission a aussi lieu. Une partie des membres de la SFIO deviendra le Parti communiste français (PCF). Le pays sort également de la guerre avec une série de grèves revendiquant de meilleures conditions de travail. Le Front populaire (l’expression est due au communiste Maurice Thorez et marque le changement d’orientation de son parti, désormais ouvert à une collaboration avec les socialistes) arrive grand vainqueur des élections de 1936 au moment où le pays est touché par des grèves, mouvement qui dure depuis plusieurs mois. Après les accords de Matignon, signés par le patronat et des représentants de la CGT, Léon Blum s’engage à soumettre très rapidement des projets de loi pour la semaine de travail de 40 heures, les congés payés et des contrats collectifs. L’occupation de la France met un terme au Front populaire, remplacé en 1940 par le régime de Vichy dans la zone dite libre du territoire.

Alors qu’en France le gouvernement du Front populaire est porté au pouvoir par les élections, les socialistes suisses attendent bien plus longtemps pour accéder à l’exécutif. Le parti sort gagnant des élections en 1928, mais doit attendre jusqu’en 1943 pour que son premier représentant, Ernst Nobs, soit élu au Conseil fédéral. La formule magique entérine dès 1959 la présence de deux socialistes au gouvernement.

La guerre met entre parenthèses les avancées sociales (même si c’est dans le sillage de la mobilisation que les soldats suisses accèdent aux Allocations pour perte de gain). Au terme du conflit, l’Europe est détruite et bénéficie dès 1947 du Programme de rétablissement européen (Plan Marshall). En encourageant les pays bénéficiaires à investir dans leur économie, les Etats-Unis leur octroient entre 1947 et 1951 environ 13 milliards de dollars de prêts. Cette opération de relèvement de l’Europe repose sur un paradigme nouveau, façonné par l’économiste (proche du Parti travailliste) John Maynard Keynes: l’idée que le capitalisme peut être la source d’un bien-être collectif. Cette rupture ainsi que l’opposition entre les blocs due à la Guerre froide vont obliger les socialistes à reconfigurer leurs discours dans les décennies suivantes.
A suivre.

Le premier volet de la série est paru le 3 mai 2017. Rendez-vous le 28 juin pour le dernier volet.

Opinions Chroniques Alix Heiniger

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lundi 15 janvier 2018

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