Contrechamp

Urgences psychiatriques : gérer la crise

Le Centre d’urgences psychiatriques (CUP) du littoral neuchâtelois a ouvert il y a quatre ans, venant combler une lacune dans le canton. Depuis, sa fréquentation a doublé. Installé au sein des urgences de l’Hôpital de Pourtalès, il prend en charge une vingtaine de patients par jour. Reportage.
Faire de la santé psychique l’équivalent de la santé somatique CNP/LAURENT RYSER
Neuchâtel

Des senteurs d’huiles essentielles nous accueillent dès que l’on pénètre dans les locaux du Centre d’urgences psychiatriques de Neuchâtel. Cet égayement olfactif tranche avec l’odeur de l’hôpital. Une initiative des deux secrétaires de la réception et des infirmières, sensibles à la naturopathie. Soucieuses d’offrir une atmosphère apaisante, elles diffusent également une musique aux tonalités calmantes. «C’est un point capital pour nous, explique le médecin-chef Stéphane Saillant, les gens doivent se sentir accueillis.» Dans le couloir, quelques tableaux colorent les murs.

Pour comprendre le déroulement de la prise en charge, il faut d’abord faire un détour par le desk des urgences somatiques de l’Hôpital de Pourtalès, responsable de l’aiguillage des personnes concernées vers l’unité du Dr Saillant. «C’est souvent ici qu’arrivent les patients. Ils peuvent y accéder par l’entrée principale de l’hôpital ou par le parking souterrain. C’est aussi cette voie qu’empruntent les gens durant la nuit, ainsi que les ambulances ou la police. Il n’y a pas de manière particulière de venir à nous.»

L’accès direct aux traitements appropriés fait partie des dix objectifs du Plan d’action cantonal pour la santé mentale adopté en 2009 par le Conseil d’Etat. Un effort politique à la suite d’un constat préoccupant sur la santé mentale de la population neuchâteloise, moins bonne que celle d’autres cantons latins et alémaniques, notamment chez les jeunes. Sans compter le nombre élevé de suicides enregistrés, le troisième de Suisse. «Consulter pour des idées noires comme on le fait pour un bras cassé, c’est important pour nous», note le médecin-chef. Même si le service est séparé institutionnellement de l’hôpital neuchâtelois (il est rattaché au Centre neuchâtelois de psychiatrie), les équipes travaillent en étroite collaboration.

Alors qu’une ambulance s’engouffre dans le parking, nous regagnons les locaux du CUP. Deux femmes attendent au secrétariat. «Une fois le patient arrivé ici, nous enregistrons ses données administratives.» Plus de 10 000 personnes par année passent par l’unité, c’est quatre fois plus qu’à l’ouverture du service en 2012. «Il n’y a pas de profil particulier. La majorité des gens ont entre 25 et 50 ans, avec toutefois un léger pic chez les jeunes adultes. Mais c’est comme si vous me demandiez: qui se présente aux urgences pour une douleur abdominale? Même si la population précarisée présente plus de risques, nous sommes confrontés à toutes les classes sociales.»

En première ligne, pour tenter d’aider ces personnes, il y a les infirmiers, 13 au total. Leur local se situe au bout du couloir, à la suite des deux salles d’entretien. Là, nous rencontrons Rémy Briault, en poste depuis trois ans, témoin de l’évolution du service. «Les pathologies ne changent pas, mais le nombre de sollicitations augmente », explique l’infirmier. «Notre cadence de travail s’est transformée, et l’équipe a dû s’adapter. Nous avons aussi une unité à La Chaux-de-Fonds avec laquelle nous collaborons.»

Pendant que nous discutons, le téléphone sonne. La requête concerne un homme nécessitant visiblement un suivi sur le week-end, voire une hospitalisation. Au bout du fil, la voix s’inquiète pour la consommation d’alcool du proche. «Nous comptabilisons en tout cas trois heures passées au téléphone par jour.» Tous les appels arrivent ici. Pour chacun d’eux, un infirmier rédige une fiche de demande initiale sur laquelle sont indiqués la date, l’heure, le nom du patient, l’auteur de la demande et le motif. Nous lisons: «Patient fragile, suivi à l’hôpital de jour, intentions suicidaires, demande une hospitalisation pour une mise à l’abri…»

Certaines périodes, telles les fêtes de fin d’année et les vacances des médecins généralistes, demandent plus de travail. «Il y a aussi les promotions du Locle, plaisante l’infirmier, sinon je ne peux pas dire qu’il y ait beaucoup de différences entre la semaine et le week-end. La nuit est un peu plus calme, mais les situations nécessitent plus de temps, notamment lorsque se pose la question d’un retour à domicile ou non.» D’une manière générale, l’augmentation du nombre de consultations s’explique par la déstigmatisation progressive de la maladie mentale et par l’anonymat des urgences. Auparavant, les gens devaient se rendre dans les hôpitaux psychiatriques de Préfargier ou de Perreux. Et le bouche-à-oreille a aussi fait son travail.

Il y a également la police qui amène plus de personnes qu’au début. «Au fond, je trouve cela positif», confie l’infirmier. Un constat partagé par Stéphane Saillant: «Les gens viennent parfois nous voir pour ‘des petits bobos de l’âme’, mais nous évitons peut-être des complications telles que des dépressions. En ce sens, les urgences contribuent à prévenir des troubles psychiques plus graves. En revanche, la police, le réseau et les proches nous demandent beaucoup. Nous sommes confrontés à des attentes très élevées, comme celle de nous voir tout résoudre.» Même si les lunettes rondes du Dr Saillant rappellent celles de Harry Potter, les urgences psychiatriques ne sont pas Poudlard. Ici, pas de baguette magique, mais un suivi.

Accroché au mur du local des infirmiers, l’une des pièces maîtresses du service, le tableau des suivis. Il affiche les patients du jour et ceux qui sont convoqués, «c’est-à-dire les personnes avec lesquelles nous avons effectué une première évaluation et qui reviennent pour le suivi de crise.» Chaque patient en bénéficie. Il s’agit d’une série de rendez-vous, quatre à cinq en moyenne, individuels ou avec les proches. Ces entretiens sont nécessaires pour comprendre la situation. «Notre attention s’oriente en priorité vers la compréhension de la souffrance plutôt que vers le diagnostic, même s’il fait aussi partie de l’investigation», poursuit Stéphane Saillant.

A côté des suivis ambulatoires, il y a l’hospitalisation. Environ un patient sur dix est hospitalisé après son passage au CUP. «Les personnes qui se présentent avec des idées noires sont nombreuses à venir ici. Les idées ou gestes suicidaires, les agitations et les décompensations psychiatriques franches sont des urgences vitales. Cela représente 20% des cas.» Le tabou autour du suicide persiste et nous manquons d’instruments pour évaluer la situation. Nous sommes d’ailleurs en train d’élaborer un registre sur les tentatives de suicide avec le CHUV pour que l’on soit en mesure de repérer et d’analyser ces comportements.» Et finalement, il y a les «chroniques». «Ce sont nos habitués», explique le médecin-chef. «Une population qui échappe au réseau de soins. Certains téléphonent toutes les nuits, alors un lien se crée entre eux et les infirmiers. Aider ces personnes, les rassurer et les accueillir fait partie de notre rôle d’urgentiste en psychiatrie.»

A la cafétéria de l’hôpital, une ruche où se croisent visiteurs, patients et médecins, nous évoquons l’évolution de la patientèle. «Depuis un an et demi, nous travaillons avec des interprètes, car nous recevons aussi plus de personnes migrantes» L’évolution des urgences psychiatriques et le nombre croissant de sollicitations poussent l’unité à se développer. Actuellement, une trentaine de collaborateurs assurent jour et nuit le bon fonctionnement du service. «Entre cette année et l’année prochaine, il y aura des travaux. Nous allons nous agrandir et proposer des lits pour des durées limitées, une à deux nuits au maximum. Nous allons également engager plus de personnel et ouvrir des salles de consultations supplémentaires.»

Faire de la santé psychique l’équivalent de la santé somatique, ce point est au cœur du travail de Stéphane Saillant et de son équipe, tout comme leurs efforts pour déstigmatiser la santé mentale. «Nous avons un rôle clé, mais nous devons rester modestes», conclut le médecin-chef. Entre prévention et accueil, les urgences psychiatriques de Neuchâtel se révèlent un rouage central des soins psychiques du canton.

Genève: violences à l’hôpital

Les violences physiques et verbales contre le personnel soignant augmentent. Le directeur des soins des Hôpitaux universitaires de Genève (HUG) et un syndicaliste analysent la situation au sein des urgences psychiatriques. Tous deux réfutent une corrélation entre troubles psychiques et agressivité.

A Genève, les agressions contre le personnel soignant sont en hausse. Fin juin 2016, le nombre de cas graves était déjà de 23 – contre 32 durant toute l’année 2015 et 21 seulement en 2014. Ces chiffres ont défrayé la chronique. Faut-il y voir une explosion de violence? Voire un danger pour le personnel soignant et les patients?

Le directeur des soins des HUG, André Laubscher, précise tout d’abord qu’«il n’y a pas plus de violence aux urgences psychiatriques que dans les autres services. On n’observe aucune corrélation entre troubles psychiques et agressivité. Et, en cas d’agression physique ou verbale, les HUG font la différence entre un comportement agressif lié à une pathologie, comme la schizophrénie, et les actes d’une ­personne capable de discernement.» Selon lui, «la violence est plutôt liée à la consommation excessive de drogues ou d’alcool – des cas qui ne relèvent pas exclusivement des urgences psychiatriques.»

Nécessité de souffler. Le Syndicat des services publics (SSP) pointe, quant à lui, le manque de personnel. «Il entraîne souvent de longues attentes, qui provoquent des tensions », explique David Andenmatten, syndicaliste au SSP. Il dénonce également un taux d’absences du personnel soignant s’élevant à 10,5%: «En raison d’une gestion en flux tendu et de nombreuses absences, le personnel est extrêmement stressé. Il risque davantage de commettre des erreurs ou maladresses qui vont excéder les patients. Du coup, ces derniers sombrent plus facilement dans la violence verbale, voire physique.»

André Laubscher admet qu’un manque de personnel crée parfois des tensions lors de l’admission aux urgences. Il relativise cependant le taux d’absences du personnel: «Le chiffre de 10,5% doit être pris avec des pincettes. Il englobe par exemple beaucoup de longues absences liées à des maternités. Ce phénomène est d’autant plus prononcé que le personnel féminin est nombreux aux HUG.»

S’agissant des urgences psychiatriques, le directeur des soins évoque un taux d’absences «légèrement plus élevé que dans les autres services», en raison probablement d’un stress émotionnel plus intense qu’ailleurs. «Parmi les vingt employés de ce service, relativise André Laubscher, il n’y a aucune absence de longue durée liée à de l’épuisement. En revanche, il arrive assez fréquemment qu’une personne soit en arrêt durant une dizaine de jours, suite par exemple à une agression et à la nécessité de souffler.»

Série de mesures. Pour faire face à la violence, les HUG ont, en août 2016, annoncé et appliqué une série de mesures: renforcement de l’équipe des agents de sécurité; assistance juridique et soutien psychologique accrus pour le personnel; sensibilisation des patients; dépôt systématique de plaintes pénales. Le SSP salue ces mesures, tout en déplorant un manque de personnel voué à empirer: «A Genève, l’activité hospitalière augmente de 2% par année, en raison à la fois de l’accroissement démographique et du vieillissement de la population. Les dotations en personnel ne suivent jamais cette évolution. De plus, les HUG recourent à beaucoup d’intérimaires qui connaissent mal le service où ils sont affectés.»

Et la situation des patients? David Andenmatten est inquiet: «Les services débordent. Parfois, trois patients se retrouvent dans une chambre prévue pour un seul patient. En sous-effectif chronique, le personnel soignant s’occupe prioritairement des personnes en crise; il n’a guère le temps de s’occuper des patients plus calmes.»

Syndicat et HUG se ­rejoignent, en revanche, pour saluer la grande faculté ­d’empathie du personnel des urgences psychiatriques, ainsi qu’une forte solidarité entre les soignants. «Cet esprit d’entraide, souligne André Laubscher, contribue à une meilleure gestion, et digestion, des agressions.»

Taux d’occupation problématique. Autre point de convergence: le manque de structures favorisant la transition entre les urgences psychiatriques et le retour à la vie ‘normale’. «Les politiques actuelles privilégient les traitements ambulatoires, du coup, les urgences psychiatriques sont saturées, déplore David Andenmatten. En outre, certains patients, trop fragiles lorsqu’ils rentrent chez eux, en sont réduits à revenir aux urgences.» André Laubscher admet un taux d’occupation problématique. «Cette situation, explique-t-il, est liée au manque d’unités de réadaptation, comme des centres de jour et des appartements adaptés, permettant la prise en charge de patients qui ne sont plus en situation d’urgence, mais qui ne peuvent encore renouer pleinement avec une vie autonome.» ALEXANDRE MARIETHOZ

 

* Ces deux articles ont paru dans Diagonales n° 115, janvier-février 2017, bimestriel du Groupe d’accueil et d’action psychiatrique, www.graap.ch

Sous l’intitulé «Nous sommes tous vulnérables», le Graap tiendra son congrès annuel les 17 et 18 mai prochains à Lausanne (Casino de Montbenon). Rens. et inscr: fondation.graap.ch

Opinions Contrechamp Jessica Richard Neuchâtel

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