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Oskar et les rébellions valaisannes

ENTRE SOI.E.S

Un vent de rébellion souffle sur le Valais. Alors qu’Oskar Freysinger (UDC) achève son premier mandat de conseiller d’Etat, les démarches se multiplient pour lui barrer la route vers une réélection en mars. Aux côtés de Sigrid Fischer-Willa (UDC) et Nicolas Voide (PDC), il entend éviter l’émergence d’un «gouvernement de centre-gauche» en proposant notamment un «Pacte cantonal valaisan» qui viserait à «réaffirmer les valeurs qui ont fait notre civilisation si nous ne voulons pas qu’elle disparaisse». Vaste programme.

Dans le cadre de cette campagne, une série d’affiches a provoqué de très vives protestations: elles mettent en scène des personnes fictives, dont la désormais célèbre Maria, précarisées parce que les aides publiques dont elles auraient pu bénéficier seraient en fait dévolues aux étrangers-ères. La solution proposée: voter «Ensemble à droite» pour «fermer le robinet», comme dirait le queue-de-chevelu. C’en était trop. Gonflé-e-s à bloc après avoir obtenu que le survivaliste Piero San Giorgio ne soit plus consultant en matière de risques pour le canton, des Valaisan-ne-s se sont à nouveau mobilisé-e-s. Ils-elles ont dénoncé le caractère mensonger de ces affiches, répertorié les frasques du conseiller d’Etat pour en montrer le caractère inacceptable au plus grand nombre, et se sont même rassemblé-e-s à plus d’un millier pour chanter les hymnes national et cantonal. Et prendre l’apéro.

Mais les mobilisations contre la politique menée par Freysinger n’ont pas attendu les dernières semaines. Un mois jour pour jour après son élection en 2013, le groupe VerSus13 était constitué, réunissant «des artistes et des professionnels de la culture alarmés par les marques de repli identitaire du Valais». Ce groupe marqua le début d’une opposition à la politique menée par le désormais ministre cantonal. Durant quatre ans, après chaque coup porté par l’UDC à la liberté d’expression, au droit à l’éducation ou au vivre-ensemble, des citoyen-ne-s ont résisté6. Pendant ce temps, Freysinger a continué à afficher son idéologie de droite radicale, tout au long de son mandat. Tout juste a-t-il déployé de grands efforts à la rendre respectable, quasi banale. Le drapeau du IIe Reich au plafond de son carnotzet, les participations à des rassemblements européens d’extrême droite, ses discours et ses poésies, bien racistes et hétéro-sexistes, tout ça n’est selon lui que franc-parler, refus du politiquement correct et réappropriation virile de l’humour et de la politique.

 

Il nous aurait fallu plus d’une page pour rendre compte des nombreuses mobilisations des dernières années, et surtout des dernières semaines, contre la personne de Freysinger. Une mobilisation qui contraste avec le calme qui avait précédé son accession au Conseil d’Etat en 2013, et à laquelle nous participons, tant il nous est évident que ce genre d’élu-e-s est politiquement nocif pour tou-te-s. Cet élan de protestations, véritable bol d’air, contient quand-même quelques limites auxquelles nous souhaitons rester attentives pour continuer de militer efficacement. D’abord, il s’agit de ne pas rester bloqué-e-s dans une posture «dégagiste». Ecarter Freysinger du pouvoir c’est bien, mais insuffisant. Il n’incarne pas un courant en soi, il n’est qu’une figure talentueuse de la montée en puissance d’une droite radicale ancrée au niveau européen. Ensuite, la plupart des démarches citoyennes actuelles se veulent «pour montrer une autre image du Valais» et surtout «apolitiques». Or, tant qu’on ne réussira à pas dépasser le stade de la bataille identitaire, tant qu’on ne pourra pas émettre d’alternative concrète et affirmée à la montée réactionnaire de la région, il se pourrait bien que l’on reste coincé-e-s dans des formes de rébellion privées et inorganisées. Aux feux de paille citoyens individualistes labellisés «I love VS», qui s’attardent à dénoncer une personnalité, il s’agit de préférer la création d’une conscience collective capable de transformer durablement les institutions qui empêchent les plus précaires de s’émanciper.

 

La liste Ensemble à droite propose une «révolution conservatrice» qui veut faire du Valais le canton des «valeurs traditionnelles de notre civilisation, attaché au patrimoine, aux frontières et à une politique d’immigration qui soit responsable et maitrisée». Face à un tel projet de société, nous devons avancer une vision politique claire et inclusive. Faute de quoi l’actuel ministre et sa bande parviendront encore à bénéficier de l’attention médiatique accordée à toutes les actions qui tentent de les décrédibiliser pour diffuser poésies, chansons et autres projets de loi fascisants.

 

* Chercheuses en sciences juridiques et sociales.

Opinions Agora Djemila Carron et Marlène Carvalhosa Barbosa

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