Après le Brexit, la nécessité d’une pause
Les résultats du référendum du 23 juin au Royaume-Uni ont des conséquences inattendues. D’un côté, les tenants du Brexit ne savent pas quoi faire de leur victoire et semblent de moins en moins enclins à la concrétiser par une demande de retrait de l’Union européenne (UE) en bonne et due forme, telle qu’elle est prévue dans l’article 50 du traité de Lisbonne. D’un autre côté, les dirigeants des États et des institutions de l’UE – qui s’étaient mobilisés derrière David Cameron pour le «Remain» – ne savent pas davantage quelle réponse apporter à la décision souveraine du peuple britannique et déploient une activité fébrile. Beaucoup d’entre eux semblent au moins avoir compris – «le coup de massue qui rend lucide», pour reprendre l’aphorisme chinois – que cette réponse ne pouvait pas se résumer à proclamer qu’il faut «plus d’Europe», c’est-à-dire, en clair, plus de l’Europe actuelle. D’où le foisonnement de projets improvisés dans l’urgence, dont celui d’une intégration accélérée du périmètre de la zone euro, et pas seulement en matière monétaire et budgétaire. Une telle fuite en avant reviendrait cependant à tenir pour quantité négligeable l’opinion des peuples qui, comme le prouvent toutes les enquêtes et la plupart des élections récentes, sont de plus en plus hostiles à cette Europe-là, même si c’est pour des raisons diverses.
Dans une contribution1 value="1">Hubert Védrine, «Gare au décrochage des peuples de l’Europe!», Le Monde, 14 juin 2016. Ce texte est une version abrégée de celui disponible sur le site lemonde.fr et également publié le 13 juin 2016 par le quotidien allemand Frankfurter Allgemeine Zeitung. publiée avant le référendum britannique, Hubert Védrine, ancien ministre [français] des Affaires étrangères, mettait en garde les gouvernements contre le risque sérieux d’une rupture entre, d’un côté, les citoyens de la plupart des États et, d’un autre côté, des «élites» qui non seulement ignorent leurs aspirations, mais les traitent par le mépris en les assimilant à du «populisme» ou du «nationalisme». Et cela sans jamais s’interroger sur leurs propres responsabilités dans ce divorce.
Pour sortir de cette impasse, Hubert Védrine propose ce qu’il appelle une «conférence refondatrice» de l’UE convoquée par l’Allemagne et la France. Elle devrait, selon lui, déboucher sur le retour à un fonctionnement fondé sur le principe de subsidiarité, et redonnant donc aux États des marges de manœuvre dont ils ont été dépossédés par les institutions européennes. Ce qui impliquerait le démantèlement du «complexe juridico-bureaucratique» constitué par la Commission, le Parlement européen et la Cour de justice de l’UE. Le document issu de cette conférence serait ensuite soumis à référendum organisé le même jour dans chaque État ayant participé à son élaboration.
Cette méthode en deux temps, élaboration/ratification, n’a rien de spécialement d’original, pas plus que le rôle dominant conféré au «couple» franco-allemand. Ce qui, en revanche, sort des entiers battus, c’est le préalable proposé par l’ancien ministre: une pause de deux ans sur toutes les décisions structurelles de l’UE, sauf celles concernant les flux de réfugiés et de migrants qui réclament des mesures immédiates. Pendant cette période, les citoyens auraient la possibilité de s’approprier le fonctionnement et les politiques de l’UE – ce qui est très loin d’être le cas actuellement –, d’en faire le bilan et de formuler des propositions répondant à leurs aspirations. Ce délai de deux ans est précisément celui prévu dans l’article 50 pour la conclusion des négociations entre l’UE et un État ayant décidé de s’en retirer…
On n’est pas tenu d’être d’accord avec le projet global exposé dans la contribution d’Hubert Védrine2 value="2">C’est le cas en particulier pour son appel à des «réformes structurelles» en France en vue d’amadouer Angela Merkel afin qu’elle accepte une gestion «pragmatique» de l’euro par la Banque centrale européenne. – qui reste dans les clous de l’actuelle UE – pour en retenir le point clé qu’est la nécessité d’une pause permettant aux peuples d’Europe de prendre la parole. La création de ce nouvel espace de débats, que le Brexit rend de toute manière inévitable, n’a aucune raison particulière de passer par une initiative de Berlin et de Paris; elle peut tout aussi bien résulter de la décision d’un ou plusieurs autres gouvernements et se donner un ordre du jour incluant la remise en cause des politiques européennes, voire la configuration même de l’UE. La pause devrait alors s’accompagner d’un moratoire sur toutes les mesures de libéralisation et déboucher sur une nouvelle conception de la construction européenne ne s’interdisant pas, entre autres propositions à mettre en débat, de substituer une monnaie commune à l’actuelle monnaie unique.
Notes
* Secrétaire général de Mémoire des luttes, président d’honneur d’Attac, www.medelu.org