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Panique à Bruxelles

Fragilisée par le retour au pouvoir de Donald Trump et désarçonnée par sa mise à l’écart des négociations russo-étasuniennes sur l’Ukraine, l’Europe désunie tente de faire corps autour d’un renforcement de sa défense stratégique. Nicolas Rousseau estime que l’UE aurait cependant d’autres atouts à jouer que le «seul recours à un hypothétique appel aux armes».
Union européenne

Taxes douanières utilisées comme moyens de pression, volonté de négociation séparée avec la Russie sur l’Ukraine, menace d’envahir le Groenland, la politique de Trump tétanise l’Europe.

Paniquée, l’UE réagit en ordre dispersé. Certains diplomates accepteraient de transiger, quitte à tenter de freiner le protectionnisme américain en dopant les importations d’outre-Atlantique (gaz liquéfié, armement). D’autres encore, réflexe atlantiste, vont jusqu’à entériner d’avance le nouvel impérialisme en marche. A l’inverse, plusieurs appellent à la résistance, à des ripostes économiques, voire à une aide militaire au Groenland. Mais tous s’accordent pour exiger que le continent se réarme, soit pour satisfaire Trump, qui voit là un nouveau débouché pour l’industrie américaine, soit pour assurer une défense autonome plus forte, au cas où les Etats-Unis se dégageraient du conflit ukrainien, voire de l’OTAN.

Mais un réarmement massif, voilà qui ne résoudrait rien! Avec 4% ou 5% de leur PIB, les Etats devraient freiner d’autres dépenses, favorisant les formations populistes, qui trouvent là un thème porteur, notamment dans les pays qui dépendaient du gaz russe bon marché. Et déjà que certains Européens peinent à admettre l’aide que leur continent alloue aux Ukrainiens, imaginez ce qu’ils diraient s’ils devaient porter seuls ce soutien. Mme Kaja Callas s’illusionne en assumant cette éventualité, la nouvelle représentante de l’UE pour les Affaires étrangères prend ses désirs d’Estonienne pour la réalité, même Zelenski en est maintenant conscient.

Renforcer la défense stratégique européenne, oui. Mais faute d’avoir jamais esquissé en parallèle le moindre projet autonome de sécurité durable qui irait de l’Atlantique à l’Oural, les pays de l’UE risquent à terme de se retrouver dans une impasse, avec face à eux une Russie au mieux momentanément contenue mais revancharde, au pire à demi victorieuse, forte d’une annexion de l’est de l’Ukraine qui signerait leur défaite.

Le discours impérialiste trumpien fait désormais écho à celui de Poutine

Autre problème qui fragilise les Européens: le discours impérialiste trumpien fait désormais écho à celui de Poutine. Si la force peut primer le droit dans les relations internationales, surtout quand il s’agit d’intérêts nationaux jugés vitaux, la Russie est tout aussi fondée à conquérir l’Ukraine que les Etats-Unis contrôler le Groenland ou le Panama. Là réside la singularité du moment: l’ambition hégémoniste de Trump trouve désormais des relais chez les fans de l’impérialisme poutinien.

L’influenceur Musk qui la partage encourage l’AFD en Allemagne et les autres partis populistes européens, prétextant la défense de la présumée pureté occidentale; quand il esquisse un salut proche de celui des nazis, toute l’extrême-droite pro-russe applaudit, et Netanyahou, l’ami commun de Poutine et de Trump, ne trouve rien à objecter. Récemment à Munich, le vice-président Vance a salué ce courant réactionnaire.

Certains observateurs jugent que nous serions en fait à la veille d’un nouveau Yalta, avec des grandes puissances qui vont se partager leur zone d’influence, cela sans que l’Europe ait rien à dire. Poutine vient de confirmer que les négociations sur l’Ukraine devraient s’inscrire dans un cadre plus global, Trump n’a pas démenti. Un nouveau découpage du monde, mais à une grosse différence près: Américains, Russes (et Chinois), ses inspirateurs partagent désormais les mêmes pratiques: impérialisme, autoritarisme, corruption, ploutocratie, rejet des minorités, de la libre expression, de la justice sociale.

Faire alors le gros dos? Ou pire, se résigner à ce que l’Europe devienne demain la nouvelle banlieue des Etats-Unis, vulnérable aux slogans poutiniens, certes gavée de gadgets électroniques et surarmée, mais sans plus d’idéal, divisée comme jamais, bunkérisée et appauvrie, au mieux en coexistence froide avec ses voisins, au pire exposée à de récurrents conflits territoriaux?

Les Européens n’ont-ils plus comme seul recours qu’un hypothétique appel aux armes?

Face à cette idéologie unipolaire qui les menace de l’intérieur, les Européens n’ont-ils plus comme seul recours qu’un hypothétique appel aux armes? Ne devraient-ils pas aussi se souvenir qu’ils gardent des atouts autrement plus sûrs, vaste marché, riche culture, humanisme inclusif, science jalouse de son indépendance, tradition démocratique toujours solide? Et même si leur défense des droits de l’homme fut souvent à géométrie variable, ils conservent aussi des valeurs universelles aptes à combattre le cynisme et l’amoralisme croissants des grandes puissances, à réveiller les consciences, surtout chez des peuples las d’être instrumentalisés par l’argent des nouveaux maîtres russo-américains de l’armement et de la tech. Défendre la paix et le droit international, limiter les altérations de l’environnement, promouvoir sans discrimination l’équité, la santé et le bien-être social, des objectifs qui, de Washington à Moscou en passant par Davos ou Munich, ne rencontrent plus guère d’écho aujourd’hui, mais que l’Europe s’honorerait de ressaisir!

* Essayiste et écrivain, Boudry (NE).