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Brexit, une question tactique

Thawra!

Le vote en faveur du Brexit a provoqué une vague d’interrogations pour la gauche radicale et questionné son approche de l’Union européenne (UE). Il n’y a certes aucune illusion à se faire sur la nature de l’UE: c’est un projet capitaliste, raciste, impérialiste et non démocratique et, dans les conditions actuelles, les institutions européennes ne sont pas réformables. Si la gauche radicale parvenait au pouvoir dans plusieurs pays, elle devrait s’engager dans la liquidation du projet actuel pour construire un nouveau projet européen et anticapitaliste par en bas, par la participation directe des classes populaires à tous les niveaux, et créer des institutions authentiquement internationalistes pour promouvoir les intérêts des peuples.

Cette position ne doit néanmoins pas faire l’économie d’une réflexion sur la manière d’aborder des questions tactiques, comme le dernier référendum de la Grande Bretagne pour quitter l’UE ou pas.

La réalité sociale dans laquelle on vit et les rapports de force politiques actuels font partie des éléments semble-t-il ignorés par les partisans de gauche en faveur du Brexit, au Royaume-Uni et ailleurs. Ces derniers ont fortement sous-estimé la dynamique raciste et anti-migrants, élément moteur de la campagne. De fait, le référendum du Brexit a constitué la pire campagne raciste et réactionnaire de l’histoire politique britannique, encourageant le développement de l’extrême droite et de ses idées nauséabondes. Pour rappel, la députée travailliste Jo Cox, grande défenseure de la cause des réfugiés et de la révolution syrienne, a été assassinée par un fasciste criant «la Grande-Bretagne d’abord». Au Royaume-Uni, les populations racisées ne s’y sont pas trompées. Face à la tournure du discours des Tories partisans du oui et des europhobes de l’UKIP, plus des deux-tiers des électeurs asiatiques, près des trois-quarts des Noirs et 70% des musulmans ont voté pour rester dans l’UE. Depuis, le vote en faveur de la sortie a libéré la parole raciste au Royaume-Uni, comme on a pu le constater avec l’explosion des actes xénophobes.

Par ailleurs, on ne fait pas de la politique de manière abstraite ou mécanique, mais ancrée dans une réalité sociale: le «copié-collé» (en référence au Grexit, ndlr) ne marche pas. Si en Grèce en 2015, la campagne contre l’UE a été menée par une gauche anti-austérité et anti-troïka, celle pour le Brexit a été très fortement dominée par la droite et l’extrême droite, avec une propagande agressive anti-migrants et islamophobe. Surtout, le Royaume-Uni n’était pas dans une situation d’Etat dominé comme l’était la Grèce; il a toujours constitué l’avant-garde des projets néolibéraux en Europe. Margaret Thatcher reste un modèle à suivre pour les élites européennes.

Il a également été question, à gauche, d’une «révolte de la classe ouvrière» contre l’establishment. S’il est vrai qu’une section importante de la classe ouvrière anglaise et galloise blanche des zones industrielles abandonnées, mécontente de la baisse continuelle de son niveau de vie, a voté pour la sortie, il faut relativiser cette affirmation. D’abord parce que la classe ouvrière du Royaume-Uni n’est pas limitée aux travailleurs blancs et anglais. Et les classes populaires d’Ecosse, de Belfast ouest, Liverpool, Manchester, Leeds, Bristol et Londres, la plupart des syndicats, des électeurs noirs, asiatiques et musulmans, et les trois quarts des jeunes ont voté en faveur du «Remain». Sans oublier les 2,2 millions de citoyens européens vivant au Royaume-Uni, majoritairement des travailleurs issus des classes populaires, qui n’ont pas été pris en compte par ceux qui parlaient de révolte…

Il ne s’agit donc pas d’une révolte de la classe ouvrière, mais d’une victoire pour les xénophobes de droite, qui ont instrumentalisé les frustrations populaires d’une partie des ouvriers blancs et anglais – selon les statistiques, 79% des électeurs pour le «Leave» s’identifient comme anglais plutôt que britanniques. Et ce n’est pas parce que des sections des classes populaires ont voté la sortie qu’il s’agit forcément d’un vote de classe réalisé de manière consciente contre la bourgeoisie.

Enfin, certains, dans les rangs de gauche, se sont réjouis du vote du Brexit en cela qu’il entraînait une crise pour la bourgeoisie anglaise et l’establishment européen. L’erreur étant de penser que toute crise capitaliste profite nécessairement aux classes populaires. Malheureusement, l’approfondissement de nouvelles politiques néolibérales ne s’est pas fait attendre au Royaume-Uni: le ministre britannique des Finances George Osborne a annoncé sa volonté de faire passer sous la barre des 15% l’impôt sur les sociétés afin de retenir les entreprises inquiètes après les résultats du référendum. Partant, les classes populaires devraient s’attendre à davantage de mesures d’austérité.

Il ne faut pas s’y tromper: les forces qui vont profiter de la crise du Brexit en Europe sont celles d’extrême-droite, qui se retrouvent en première ligne pour bousculer l’establishment européen, ouvrir la voie à des projets ouvertement racistes encore plus réactionnaires que l’actuelle UE, et qui ne manqueront pas non plus de mettre en place des politiques d’austérité. Cela constitue-t-il une bonne nouvelle pour les classes populaires? On peut en douter.

Aux forces progressistes de construire sur des bases politiques anticapitalistes, antiracistes, anti-impérialistes, féministes et écologistes qui s’opposent au projet de l’UE et aux forces politiques qui le soutiennent, mais aussi aux mouvements d’extrême droite qui veulent instrumentaliser les frustrations populaires à des fins racistes et tout aussi néolibérales.

* Universitaire et militant de solidarités

Opinions Chroniques Joseph Daher

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lundi 8 janvier 2018

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