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Une nouvelle qui fait du bien

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Je dois l’avouer: la nouvelle de l’élection à la mairie de Londres de Sadiq Khan m’a profondément réjoui! Surtout en cette période de radicalisation et de glissements progressifs vers des postures qui rappellent de très mauvais souvenirs!

D’abord, comme dans les films, c’est le petit, le faible qui a gagné, en l’occurrence le fils de chauffeur de taxi pakistanais «a battu» le fils de milliardaire, celui qui a gravi les échelons à la force du poignet «a battu» celui dans la bouche duquel les cailles sont tombées toutes cuites! Certes, ne connaissant personnellement ni l’un ni l’autre, je me laisse naïvement séduire par les clichés véhiculés par la presse pendant la campagne électorale. Reconnaissons qu’il est bon, parfois, de redevenir l’enfant qui se contente de stéréotypes!

Et puis cette façon qu’ont eu ses adversaires, voire toute la presse, d’accoler systématiquement l’adjectif «musulman» à Sadiq Kahn m’a tellement énervé que ce candidat a immédiatement eu ma sympathie. Certes, le rappel de sa confession peut avoir quelque chose de réjouissant comme le dit Joëlle Kuntz dans son article du Temps: «A lire la presse, les Londoniens n’ont pas élu un pair mais un musulman, ‘le premier’. C’est toujours bien, les premiers élus d’une couche de population jusque-là exclue: le premier Noir à la Maison Blanche, la première femme à la mairie de Paris, le premier Amérindien à la présidence de la Bolivie»1 value="1">J. Kuntz, «Le maire de Londres ou les péripéties de l’identité», Le Temps, 11 mai 2016.. Mais c’est réjouissant a posteriori, pas quand l’adjectif est agité pour faire peur aux électeurs! Avant l’élection, il est scandaleux de réduire l’identité d’un-e candidat-e à son appartenance religieuse! Imagine-t-on utiliser comme repoussoir la foi catholique, protestante ou juive de X ou Y dans une élection à la mairie de Genève? Pourquoi alors le faire avec l’adjectif «musulman»?

Il faut que l’endoctrinement soit bien puissant qui essaie de nous faire croire qu’à la guerre froide de la deuxième moitié du XXe siècle a succédé une guerre «de religion» entre ceux qui croient à la démocratie occidentale et ceux qui veulent l’islamisation à tout prix. De fait, il ne se passe pas de jour sans que soit agité cet épouvantail. Ainsi par exemple, Channel 4 a diffusé en avril dernier un documentaire réalisé à partir d’une enquête auprès de Britanniques de confession musulmane qui conclut que ceux-ci sont insuffisamment intégrés et que leurs valeurs se heurtent aux valeurs britanniques. On voit immédiatement poindre derrière ces conclusions la très en vogue remise en question du multiculturalisme.

En guise de comparaison, il est intéressant de rappeler comment Stephen Frears et son scénariste Hanif Kureishi dépeignent les rapports intercommunautaires dans les années 1980. My beautiful Laundrette (1985), par exemple, ne nie pas les tensions qui peuvent exister entre Pakistanais et Anglais de souche, mais les auteurs en jouent pour montrer que l’essentiel est ailleurs. Tourné en 16 mm pour la télévision britannique, ce film raconte l’histoire d’Omar, un jeune Pakistanais de Londres, et de son amant Johnny, ex-punk, qui espèrent gagner leur vie avec un salon-lavoir. Sur fond de thatchérisme triomphant, de chômage et de lutte pour la survie dans un quartier défavorisé, le père d’Omar, ex-journaliste de gauche, noie ses désillusions dans la vodka et Nasser, l’oncle d’Omar, homme d’affaires sans scrupules, est fier de donner à son neveu des conseils pour «réussir», y compris en escroquant l’Etat. Frears et Kureishi évitent tout misérabilisme, jouent même la carte de l’humour: bêtise et cupidité sont le lot des possédants comme de ceux qui rêvent de prendre leur place. Le désir et l’amour des deux garçons les font bien sûr rêver de coexistence interraciale. Mais le réalisateur et le scénariste évitent l’idéalisation naïve et le combat simpliste entre les bons et les méchants. Ils nous montrent comment leurs personnages sont peu à peu amenés à réfléchir sur leur milieu et sur le rôle qu’ils y tiennent.

Frears et Kureishi refusent ainsi de nier les différences entre communautés, pas plus qu’ils ne prônent une assimilation totale des «immigrants». Or, comme le rappelle Joëlle Kuntz, «l’extinction des différences par assimilation et métissage est le désir profond des sociétés ‘nationales’. Quoiqu’elles disent sur elles-mêmes, les nations sont hantées par le fantôme de l’unité, de l’homogène»2 value="1">J. Kuntz, «Le maire de Londres ou les péripéties de l’identité», Le Temps, 11 mai 2016.. Comme en témoigne une fois encore le documentaire de Channel 4 qui parle d’échec de l’intégration et dit sa crainte devant l’apparition «d’une nation dans la nation». Exactement le contraire donc de ce que disaient Kureishi et Frears dans les années 1980 et de ce que montre aujourd’hui Frederick Wiseman dans son dernier documentaire In Jackson Heights (2015), portrait d’un quartier de New York où vit une impressionnante variété de communautés qui ont compris que le vivre-ensemble n’a rien à voir avec l’assimilation ou l’homogénéisation, mais tout avec le respect et la tolérance.

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* Cinéphile.

Opinions Chroniques Serge Lachat

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lundi 8 janvier 2018

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