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Moralisateurs borgnes

Thawra!

Une série d’auteurs, issus de courants idéologiques variés, dénoncent très justement l’hypocrisie des politiques des Etats occidentaux dans leurs soutiens à des dictatures et dans leurs condamnations des violations des droits humains. En même temps, ces penseurs tentent parfois de relativiser – allant même jusqu’à nier – les autoritarismes des Etats non occidentaux comme la Russie, la Chine, la Syrie, etc. A relever qu’aux antipodes de ce discours, d’autres intellectuels, comme Bernard-Henri Lévy, dénoncent uniquement les forces opposées aux puissances occidentales et leurs alliés, en justifiant ou en niant les crimes commis par l’Occident. Revenons aux premiers.

Parmi les biais qui imprègnent leurs analyses, une forme de relativisme culturel, ou d’orientalisme, vient justifier la nature autoritaire de certains régimes – notamment russe ou chinois. Les formes de gouvernance adoptées dans ces pays résulteraient, selon ces auteurs, de leurs différences culturelles. C’est, par exemple, ce qu’explique Guy Mettan dans ses chroniques du Courrier. Dès lors, nous autres, «Occidentaux», ne pourrions pas comprendre la nature différente de ces régimes autoritaires…

Cette position orientaliste laisse entendre que la démocratie libérale ou les droits démocratiques et sociaux seraient des valeurs proprement occidentales – et non le résultat de luttes politiques et socio-économiques des classes populaires face au développement du capitalisme –, tandis que le reste du monde serait par essence limité à des formes de despotisme propres à chaque pays ou région, selon sa culture. Suivant cette logique, les mouvements démocratiques et sociaux de ces pays en quête de plus de liberté et de justice sociale ne feraient qu’importer des valeurs occidentales, et seraient, à l’image de l’Ukraine, de la Syrie ou de la Libye, forcément soutenus en sous-main par des Etats occidentaux. C’est oublier le caractère endogène des luttes visant l’amélioration des conditions démocratiques et sociales dans des sociétés soumises à des régimes autoritaires. Les activistes progressistes de ces pays apprécieront.

Par ailleurs, la focalisation sur l’analyse des rapports de forces géopolitiques entre puissances internationales et régionales pour expliquer les dynamiques des mouvements populaires constitue une autre dimension du problème. Cela revient de fait à jauger ces dynamiques en fonction des alliances politiques de leurs classes dirigeantes. Ce qui passe très souvent par une critique des actions des Etats occidentaux et de leurs alliés, tandis que les régimes autoritaires hors de cette orbite, ou rhétoriquement opposés aux puissances occidentales, sont exonérés de leurs autoritarismes et de leurs actions impérialistes.

Dans son avant-dernière chronique, Guy Mettan affirme par exemple que les bombardements russes visent les islamistes, en esquivant les «prétendues victimes civiles». Il suit sur ce point la propagande de l’Etat russe autour de la «guerre contre le terrorisme», prétexte au soutien politique et militaire au régime Assad pour écraser toute forme d’opposition. La Russie avait utilisé un discours similaire en Tché-tchénie dans le passé. Or la plupart des cibles sont des civils et des factions de l’Armée syrienne libre (ASL) réellement existante. Ainsi, selon le Centre de documentations des violations (VDC) en Syrie1 value="2">www.vdc-sy.info/index.php/en/reports/1447972413#.VlLxZiTA1sv; le VDC est un réseau d’opposition syrienne qui documente les violations des droits de l’homme depuis le début de l’insurrection., depuis le début des opérations militaires russes, le 30 septembre 2015, 80% à 90% des frappes russes n’ont pas visé des zones contrôlées par l’Etat islamique (EI), tandis que plus de 520 civils ont été tués par l’aviation russe et environ 100 000 ont dû quitter leurs régions du fait des bombardements russes, qui auraient également détruit une dizaine d’hôpitaux.

Des bombardements qui, dans certains cas, auraient même profité à l’EI. Comme le 10 octobre dernier, lorsque l’organisation jihadiste a pu prendre position en périphérie d’Alep grâce à une percée éclair contre des factions de l’ASL désorientées par les frappes russes qui les visaient.2 value="3">www.theguardian.com/world/2015/oct/10/russian-airstrikes-help-isis-gain-ground-in-aleppo

L’indignation sélective des penseurs qui opposent aux «mauvaises bombes» et à la «mauvaise répression» des Etats-Unis les «bonnes bombes» et la «bonne répression» russes se différencie finalement assez peu de l’incapacité à critiquer les crimes commis par des Etats occidentaux et leurs alliés qu’ils reprochent à d’autres analyses. Les deux approches, biaisées, souffrent d’un manque de crédibilité. Ce faisant, les uns et les autres oublient de parler de la résistance populaire des révolutionnaires syriens – arabes et kurdes – civils et armés, contre les groupes fondamentalistes islamistes, au-delà de leur opposition au régime.

Notre boussole politique ne devrait pas être aimantée en continu par les capitales internationales comme Washington ou Moscou, mais s’aiguiller sur l’indignation et la résistance des peuples en lutte.

* Universitaire et militant de solidaritéS.

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