Cinéma

Carton rouge à la carte blanche

Locarno Festival

Alors que les projecteurs médiatiques sont braqués sur Cannes, une polémique à combustion lente commence à prendre du côté de Locarno, dont la 68e édition s’ouvrira début août. Consacrant en toute innocence sa Carte blanche au cinéma israélien, le festival est pris à partie par une lettre ouverte signée PACBI (Palestinian Campaign for the Academic and Cultural Boycott of Israel), à laquelle se joignent 200 artistes et acteurs culturels –parmi eux, les cinéastes Eyal Sivan et Ken Loach. On reproche plus précisément à la manifestation son partenariat avec une institution nationale, le Fonds israélien du cinéma, dans le cadre d’une rencontre professionnelle en marge de la programmation. Locarno, hissant l’étendard de la liberté d’expression, fait mine de ne pas comprendre.

Cette protestation pro-palestinienne, qui s’inscrit dans la campagne internationale BDS (boycott, désinvestissement, sanctions), suscite les réactions habituelles. Le boycott de la culture, désavouant ses promesses de dialogue entre les peuples, est un outil de pression impopulaire. Il ne faut pas en rester là. Si on a souvent pesté contre les polémiques stériles qui pimentent chaque année le quotidien locarnais, celle-ci mérite qu’on en mesure pleinement les enjeux. Elle rappelle que l’art est aussi affaire d’idéologie, que cinéma et politique ont toujours fait bon ménage lorsqu’il s’agit de propagande.

Bien sûr, tous les festivals ont pris l’habitude de collaborer avec des organismes officiels liés à la culture (ministères, ambassades, etc.). La plupart des Etats financent en effet la création artistique et soutiennent la diffusion à l’étranger d’œuvres qui véhiculent de préférence une image positive du pays – on se souvient des récentes réticences de Présence Suisse, officine du Département fédéral des affaires étrangères, à accompagner la carrière internationale de L’Abri de Fernand Melgar. Le cas israélien est toutefois particulier. Comme le souligne Eyal Sivan dans notre interview, l’Etat hébreu mène depuis 2005 une opération de communication d’envergure pour racheter une image écornée. Les artistes sont envoyés en première ligne dans cette campagne baptisée «Branding Israël» qui, pour rester dans le jargon publicitaire, relève d’un cultural washing comme on parle de greenwashing.

Evidemment, il ne s’agit pas aujourd’hui de produire des «films de propagande». Le temps du réalisme socialiste de l’Union soviétique ou de l’esthétique mystico-nazie de Leni Riefenstahl est révolu! Israël contribue à la promotion d’œuvres souvent critiques (dans la mesure admise), accréditant ainsi l’idée d’une démocratie exemplaire ouverte à la contestation. Avec le consentement naïf ou assumé de ses auteurs, le cinéma israélien est donc bel et bien instrumentalisé, de la façon la plus subtile qui soit. C’est ce que pointe en substance l’appel adressé au Festival de Locarno. On peut récuser le principe du boycott culturel, assimilable à une forme de censure, et néanmoins juger une telle démarche salutaire quand l’art est mis au service d’une entreprise politique.

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Boycott contre propagande

vendredi 15 mai 2015 Mathieu Loewer
La Carte blanche israélienne du prochain Festival de Locarno suscite une vive protestation. ­Rencontre avec le cinéaste Eyal Sivan, qui dénonce un cinéma instrumentalisé.

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