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Les entreprises créent l’emploi! Vraiment?

ÉCONOMIE • Réduction des charges patronales, allègements fiscaux… autant de recettes mises en avant par les entreprises pour «créer de l’emploi». Sauf que ce n’est pas la réduction du «coût» du travail qui conditionne l’embauche, mais le volume du carnet de commandes.

Baissons les charges des entreprises, flexibilisons le travail, baissons les salaires et alors, nous dit-on, les entreprises créeront de l’emploi. Cela peut paraître une évidence et, pourtant, il convient de regarder plus attentivement ce que masque cette affirmation.

Récemment, le Mouvement des entreprises de France (Medef) proposait de supprimer deux jours de congé, de remettre en cause le salaire minimum, d’assouplir les 35 heures et d’introduire un nouveau contrat de travail précaire, en échange de quoi il s’engageait à créer un million d’emplois dans les cinq ans. Proposition alléchante dans un pays où le nombre officiel de chômeurs dépasse les 3,4 millions. En d’autres termes, les patrons français, et tous les patrons dans le monde de l’économie capitaliste mondialisée, disent aux salariés: baissez vos salaires et/ou augmentez votre temps de travail et nous créerons des emplois. Si nous réduisons le «coût» du travail (on ne parle évidemment jamais du coût du capital constitué notamment des intérêts et des dividendes) alors nous engagerons plus de personnel. Or comme le démontre parfaitement l’économiste Frédéric Lordon1>1, ce qui crée des emplois, ce sont les carnets de commande et la demande de services: «Les entreprises n’ont aucun moyen de créer par elles-mêmes les emplois qu’elles offrent: ces emplois ne résultent que de l’observation du mouvement de leurs commandes, dont, évidemment, elles ne sauraient décider elles-mêmes, puisqu’elles leur viennent du dehors – c’est-à-dire du bon vouloir dépensier de leurs clients, ménages ou autres entreprises.» Pourquoi diable une entreprise créerait-elle de nouveaux emplois si elle n’a pas davantage de produits à fabriquer ou une nouvelle clientèle à satisfaire? Par ailleurs, même si les carnets de commandes des entreprises s’étoffent, il n’est pas du tout certain qu’elles engagent. Si leur capacité de production est sous-utilisée, elles rentabiliseront au maximum l’appareil de production avant d’investir davantage et d’embaucher. Les entreprises ne sont pas des œuvres de charité, même si parfois elles aimeraient bien se draper dans les habits de l’entreprise responsable socialement. Faut-il rappeler ici qu’en économie capitaliste, il n’existe pas de production si celle-ci n’est pas génératrice de profits.

Les entreprises, les collectivités publiques sont bien le lieu où sont engagés et travaillent les salariés, mais ils ne le sont que parce qu’une demande de biens ou de services existe et demande à être satisfaite. Faire croire ou tenter de faire croire que les patrons sont prêts à engager de nouveaux salariés si on leur accorde toutes sortes de cadeaux est une simple illusion.

Et pourtant, c’est le discours que nous entendons quotidiennement, par exem-ple lorsque l’on parle de la fiscalité des entreprises. En Suisse, les cadeaux fiscaux aux personnes morales se sont multipliés depuis une dizaine d’années sous prétexte de la compétitivité internationale alors même que, selon les statistiques de l’OCDE de 2011, le produit de l’impôt sur les bénéfices en pourcentage du PIB s’élevait à 2,9% contre 3% en moyenne pour l’ensemble des pays membres. La hausse du nombre d’emplois en Suisse ces dernières années peut ainsi laisser croire que l’allègement de la fiscalité des entreprises à favorisé la création d’emplois. Il n’en est rien, car la progression de l’emploi est à mettre en relation avec deux facteurs essentiels. Le premier est le fort développement de la production dans toute une série de secteurs économiques, notamment ceux liés à l’exportation, donc à la demande extérieure. Le second est constitué de transferts d’emplois en provenance d’autres pays, on pense ainsi au nombre significatif d’entreprises étrangères, notamment transnationales, qui sont venues s’établir en Suisse, important avec elles des postes de travail préexistants.

La création d’emplois de par la volonté des entreprises est donc un mythe, elle dépend fondamentalement de la demande de biens et services intérieurs et extérieurs.

Notes[+]

Bernard Clerc est membre de SolidaritéS, ancien député genevois.
1Frédéric Lordon, «Les entreprises ne créent pas l’emploi», Le Monde diplomatique, mars 2014.

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