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La pauvreté, ce n’est pas seulement des difficultés financières

PUBLICATION • En Suisse, plus d’un million de personnes vivent dans la précarité. Faits et chiffres à l’appui, le «Nouveau manuel sur la pauvreté en Suisse» de Caritas décortique les mécanismes de la pauvreté et de la sécurité sociale.

«J’espère seulement ne pas croiser une connaissance ou un voisin et ne pas devoir répondre de nouveau à la question, toujours la même: non, je n’ai toujours pas retrouvé de travail.» Ces paroles d’une femme montrent à quel point la pauvreté pousse les gens dans l’isolement. Le Conseil fédéral reconnaît aujourd’hui que la pauvreté en Suisse représente un véritable problème social et politique. Dans le Nouveau manuel sur la pauvreté en Suisse1 value="1">Claudia Schuwey, Carlo Knöpfel, Nouveau manuel sur la pauvreté en Suisse, 288 p., 42 francs. Commande: info@cari- tas.ch ou en ligne: www.caritas.ch/manuel-pauvrete1, Caritas a réuni les connaissances les plus récentes sur ce thème.

Il y a dix ans encore, la pauvreté était un tabou dans notre riche Suisse. Lorsque Caritas a publié en 2007 le Manuel sur la pauvreté en Suisse, de Christin Kehrli et Carlo Knöpfel, l’ouvrage est très vite devenu une référence incontournable dans le débat sur la pauvreté. Pourtant, il n’existait encore pratiquement aucune donnée sur l’importance de la pauvreté. Caritas en était réduite à faire des estimations.

Depuis lors, il y a du nouveau. En 2010, l’Office fédéral de la statistique a publié pour la première fois des données qui confirmaient les estimations de Caritas. La même année, le Conseil fédéral a adopté une Stratégie globale de la Suisse en matière de lutte contre la pauvreté, et l’an passé, il a lancé un programme national de prévention et de lutte contre la pauvreté. Il reconnaît donc explicitement que la pauvreté en Suisse représente un véritable problème politique et social et qu’il faut s’attaquer activement à ses différentes facettes.

Pour être au plus près des nouveaux développements, Caritas publie aujourd’hui le Nouveau manuel sur la pauvreté en Suisse. Il ne s’agit pas d’une simple actualisation du premier ouvrage. La chercheuse en sciences sociales Claudia Schuwey et Carlo Knöpfel, ancien responsable du secteur études pour Caritas et aujourd’hui professeur à la Haute école de travail social de Bâle, ont effectué des recherches complètes et remanié le livre en profondeur. Il en résulte un ouvrage de référence très dense, comportant des définitions claires, des textes d’approfondissement compréhensibles, des données traitées de façon concrète et de multiples renvois utiles vers les informations en évolution et les données les plus récentes. Le manuel transmet une image à multiples facettes de la problématique, car l’étude de la pauvreté pose un grand nombre de questions: comment définit-on la pauvreté? Quels sont les instruments qui permettent de la constater et de la mesurer? Quels sont les facteurs qui font que quelqu’un tombe dans la pauvreté? Avec quels problèmes les personnes en situation de pauvreté doivent-elles se battre? Comment peut-on éviter la pauvreté ou la surmonter durablement?

Le Nouveau manuel sur la pauvreté en Suisse apporte des réponses à ces questions. Il met en évidence les différentes possibilités de définir, de mesurer et d’expliquer la pauvreté. Il donne une vue d’ensemble des chiffres et des faits les plus récents sur la répartition des revenus et de la fortune et sur l’importance de la pauvreté en Suisse. Et il explique comment l’évolution des formes de vie, la nouvelle compréhension de la répartition des rôles entre genres et les changements du monde du travail engendrent de nouvelles formes de pauvreté. Il montre aussi que les assurances sociales existantes n’ont pas pris en compte cette évolution et que la nouvelle pauvreté n’est donc pas suffisamment, ou même parfois pas du tout couverte. Le dernier chapitre est consacré à la politique suisse de lutte contre la pauvreté. Il montre que cette politique doit être transversale et mise en œuvre par différents acteurs étatiques et non étatiques et dans différents champs d’action, par exemple celui de la formation, qu’il faudrait adapter pour permettre aux gens de suivre le rythme d’un marché du travail qui a beaucoup changé, celui de la politique familiale, notamment de l’harmonisation entre activité professionnelle et famille, et des débats actuels sur les coupes faites dans l’Etat-providence. Ce chapitre démontre clairement à quel point les situations individuelles de pauvreté sont désormais liées aux changements sociétaux, à quel point aussi les politiques et la société ont négligé jusqu’ici d’adapter les instruments de l’Etat social à ces évolutions.

Dans le chapitre «Conséquences de la pauvreté», on peut aussi lire des témoignages de personnes touchées par la pauvreté. Elles racontent comment elles doivent compter quotidiennement au plus juste avec un budget trop serré, elles parlent de leur sentiment d’exclusion de la société, du stress et des angoisses lors d’une recherche d’emploi souvent vouée à l’échec: «Quand je vais faire mes courses de temps à autre, j’espère toujours de ne pas tomber sur une connaissance ou un voisin et devoir donner toujours la même réponse à la même question: non, je n’ai toujours pas trouvé de travail… Je vais me promener tard dans la nuit et, la journée, je fais du vélo avec casque et lunettes pour que personne ne me reconnaisse. Et je réussis ainsi à m’isoler encore davantage» (une femme anonyme). Cette citation exprime bien à quel point la pauvreté représente bien plus que seulement un problème financier. Les personnes touchées par la pauvreté vivent dans une situation très précaire. Leur logement est souvent inadapté à leur situation, ils ont des problèmes de santé, ne bénéficient pas des formations professionnelles adéquates et n’ont pas d’emploi stable. De manière générale, il leur manque concrètement des perspectives, des possibilités d’agir et des chances de vie. Pour que les personnes touchées par la pauvreté puissent développer ces perspectives et ces possibilités d’agir, il faut non seulement renforcer les structures d’aide qui existent déjà, mais aussi inventer de nouvelles formes de soutien mieux adaptées aux besoins individuels.

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