Agora

«Il n’y aura plus de victoires sans véritable perspective»

LUTTES SOCIALES • Sortir de la résignation et retrouver le «feu sacré» pour bâtir un projet de transformation économique et sociale, c’est l’exhorte faite par Laurent Tettamanti aux gauches européennes.

La motivation profonde est l’indispensable base de toute dynamique, individuelle ou collective, et le terrain des luttes sociales et politiques n’y échappe évidemment pas. Or comment ne pas voir dans la résignation qui gangrène la majorité des masses laborieuses et des citoyens de notre époque l’expression d’un cruel manque de motivation. Bien sûr, le doute sera toujours de mise, mais lorsque face à un problème aucune solution n’apparaît, comment éviter la déprime collective et une fuite en avant individualiste et consumériste?

L’exemple récent de la débâcle du mouvement revendicatif à Gate Gourmet le prouve: sans projet de transformation économique et sociale à la hauteur des enjeux, il n’y aura plus de victoires. Plus de victoires, car nous ne sommes plus dans la parenthèse vertueuse des Trente Glorieuses – l’Europe n’est plus à reconstruire, l’énergie n’est plus quasi gratuite et le «péril rouge» a disparu –, mais dans l’ère violente d’un capitalisme arrogant qui possède toutes les cartes en mains. Le réformisme social-démocrate est mort avec la globalisation capitaliste et l’absence de contre-pouvoirs comme l’URSS. Mais peu de syndicats et de dirigeants de gauche semblent l’avoir compris. Ils continuent indirectement de légitimer le capital et de lui quémander quelques largesses, en disant: «Nous devons nous adapter au rapport de force très défavorable, on ne peut pas demander plus que ces miettes», ou encore «Nous ne pouvons que résister et nous défendre». Et c’est bien là le problème. Les gens sont las de combats perdus d’avance, ou de luttes vouées à devenir permanentes sans réels acquis. Le chômage structurel de masse, la libre circulation des capitaux, les privatisations et délocalisations ainsi que la soumission de la sphère politique corrompue sont les armes du diktat capitaliste, alors comment s’en sortir?

Seule une perspective émancipatrice et durable peut nous sortir du cercle vicieux de la résignation. Revenons au cas de Gate Gourmet. Pourquoi ne pas se battre pour la récupération de ce secteur d’activité à l’aéroport (le catering) soit en mains publiques, soit dans le cadre d’une coopérative d’intérêt public?1 value="1">Une pétition en ce sens munie de plus de 600 signatures sera déposée prochainement auprès du Grand Conseil genevois. Le problème n’est-il finalement pas lié à la propriété de ce moyen de production, livré aux pires capitalistes yankees? «Cela est impossible», répondent en chœur les élus et bureaucrates soumis de service. Ah oui, et pourquoi donc ne pourrait-on pas dégager ces pilleurs de notre République? Ne bénéficient-ils pas d’une concession de l’Etat? Ne pourrait-on pas réinvestir leurs profits faramineux dans l’amélioration des conditions sociales et des produits de l’entreprise, et dans la création de postes de travail? Cela ne bénéficierait-il pas finalement à tout le monde, des travailleurs aux clients, en passant par les caisses publiques? En fait, seuls quelques parasites étasuniens ou autres mercenaires du capital y perdraient. Alors où est le problème? «La majorité politique ne veut rien entendre», nous dit-on. Alors se pose la question d’un renversement de cette majorité vendue aux dogmes néolibéraux et à cette oligarchie supranationale. Mais comment mobiliser les déçus de la gauche – de plus en plus nombreux – et de la démocratie – les légions d’abstentionnistes –, ou encore convertir les moins convaincus d’entre ceux qui soutiennent actuellement le régime en place? Nous retombons là sur la cruciale question de la motivation, foncièrement liée à la crédibilité et à la cohérence d’une démarche. A nous de renouer le fil d’une perspective civilisatrice qui fit dans le passé relever la tête aux peuples. A nous d’imaginer et de dessiner les contours cohérents d’une autre société basée sur le bien-être, l’intégration, la coopération et l’accès aux biens communs récupérés. A nous de retrouver cette crédibilité et ce «feu sacré» qui font cruellement défaut à la gauche européenne depuis plusieurs décennies.

Notes[+]

*Secrétaire du Mouvement vers la révolution citoyenne (MvRC).

Opinions Agora Laurent Tettamanti

Connexion