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Les fusions de communes : autogoal financier à terme!

réponse à M. Frédéric Mairy

Même si je désire éviter la polémique bilatérale axée sur un cas particulier, le commentaire de M. Frédéric Mairy s’appuie sur quelques exemples intéressants qui peuvent nourrir une réflexion plus générale sur les fusions de communes en cours.

Val-de-Travers (VdT) n’était cependant pas une de celles auxquelles je pensais en parlant de cas particuliers où la fusion pouvait éventuellement se justifier. Cette commune me semble plutôt illustrer le contraire, cela d’autant plus que l’orientation donnée à la nouvelle commune se nourrit de l’illusion de renouer avec l’époque qui a permis le développement historique de la région. La grandeur passée n’a pas beaucoup de chance de se réitérer si la conjoncture globale ne change pas radicalement. Ceci n’est pas seulement vrai pour VdT, j’aurais l’occasion d’y revenir. Tout mène à penser qu’elle sera plus favorable, à terme, à de petites structures résilientes qu’à des entités urbanisées de plus en plus étendues qu’on persiste à vouloir favoriser. L’avenir le dira. Malheureusement peut-être trop tard.

Mais avant tout il faut constater une chose, et l’exemple de VdT nous y amène : cette nouvelle commune est le résultat de la fusion de 9 communes sur les 11 du district. Dans le district de la Veveyse-FR, le projet présenté par le préfet prévoit même carrément la fusion de toutes les communes de son district en une seule. Un district, une commune ! Quel est le sens de cette extension ? Quel est encore le rôle de la commune ? SI l’on sait que l’on parle déjà de fusion de districts, de cantons, cela laisse songeur. Doit-on finalement en conclure que toute cette subdivision n’est d’aucune utilité ou qu’elle est devenue superflue voire même un obstacle ? Si l'on écoute ou si on lit ce qui se dit à propos des communes, on ne peut qu'être convaincu de leur disparition prochaine tant la résistance semble faible. Or ce genre de questions est fondamental dans la réflexion sur les fusions de communes.

Mais, même si ce n’était pas spécifiquement mon propos, M. Frédéric Mairy préfère nous emmener sur le terrain principal des arguments financiers qu’il semble bien maîtriser. Je conçois qu’il puisse être fier d’une situation financière encore provisoirement saine, mais il me semble avoir noté que la dette à long terme de VdT, après avoir effectivement baissé pendant la première législature grâce à l’incitation financière versée par le canton, avait déjà repris l’ascenseur les années suivantes, mais je ne le contredirai pas plus sur ce point.

Sans compter le fait qu’on ne se défait pas des charges liées (social, santé, sécurité, éducation), par la fusion,  et malgré toute la bonne volonté des acteurs du terrain, je ne vous apprendrai pas qu’on assiste à une progression des charges par l’accroissement démographique et la nouvelle étendue de la commune. Celles-ci induisent de nouveau besoin en personnel communal. Si la création de postes de travail est toujours accueillie favorablement, elle grève en priorité les finances des communes dont elle représente souvent près de la moitié du budget, si bien qu’on ne s’étonne pas d’une pression toujours plus grande sur les employés communaux et leur effectif. Saignelégier en a fait la douloureuse expérience. En dépit des promesses…

Grâce aux données statistiques, nous disposons d'une bonne base pour  comparer les coûts des communes en fonction de leur nombre d'habitants. Si  nous traçons la courbe du coût par habitant en fonction du nombre d'habitants  des communes on obtient un résultat des plus démonstratifs : le coût par  habitant croît avec la dimension de la commune, ce qui signifie que deux  communes séparées coûtent moins que la commune fusionnée. Dans le domaine administratif, il n'y a pas d'économie d'échelle, mais,  au contraire, des dépenses d'échelle. Malgré la méthode Coué…

A cela s’ajoute que toute dépense persistante (à long terme) représente un grand risque compte tenu de la variabilité potentielle des recettes communales. Et justement ! dans les grandes communes fusionnées – mais pas seulement -, la tentation est grande de réaliser des emprunts conséquents pour finaliser les promesses faites. Les fameux « crédits d’investissement ».  Les taux « anormalement » bas actuels poussent à l’endettement global, ce qui n’est pas une garantie de prospérité future. La gestion publique n’échappe pas à cette règle.

Au niveau global, la sortie de la crise de l’Euro a été financée par des dépenses publiques qui ont augmenté d’autant des dettes déjà excessives. Une vraie bombe à retardement. Et personne ne se préoccupe d’amorcer le désendettement. Ajoutez à cela la crise de l’énergie, le changement climatique, pour les plus évidentes, et vous avez suffisamment de nuages noirs à l’horizon pour tempérer tout optimisme.

Et si, maintenant, je porte à votre connaissance ( ?) le fait que, dans le canton de Fribourg, 8 communes sur les 11 qui ont dû augmenter leur taux d’imposition en 2013 sont des communes fusionnées en 2004, vous comprendrez pourquoi je relativise très fortement tout argument concernant la viabilité de la baisse du coefficient fiscal : de la glue pour les mouches.

Et ce n’est pas tout :

La concurrence pour attirer les industries se joue sur le terrain de l’attractivité fiscale où les perdants sont toujours les contributeurs physiques (et non les personnes morales qui disparaissent ou délocalisent). Ainsi après le boum économique vient souvent le « bam » de la gifle prise par une région qui a voulu dresser des ponts d’or au développement et à l’expansion. Cela nous rappelle aussi que nous contribuons par les fusions à installer la politique et la gestion publique sur le terrain du rapport de forces. Quel en sera l’issue ?

La péréquation positive qui permettait aux communes de boucler leur budget devient souvent négative (contributrice) pour la nouvelle commune. Alors maintenant, beaucoup de grandes communes contributrices appellent à une modification des règles du jeu. Cet acharnement aura pour conséquence de mettre les communes les plus défavorisées dans une situation telle que certaines ne pourront plus assumer les dépenses que leur impose la législation. Alors on les poussera à fusionner.

Voilà quelques éléments financiers à méditer.

Concernant, le maintien de la riche vie sociale et associative de VdT, c’est un élément effectivement positif et je me réjouis d’apprendre  que la fusion n’a pas d’impact sur cet aspect de la vie des Valloniers. Sa diversité et son dynamisme est certainement un élément de résistance à la concurrence pour des subventions communales : nulle commune de neuf villages ne subventionnerait à long terme neuf sociétés de chant ou de gym…

Si la fusion, malheureusement, n’a pas accentué la participation à la vie politique, c’est qu’effectivement, le sens politique du citoyen semble se perdre au même rythme que la dilution de l’efficacité de son engagement par l’éloignement de ses représentants. Mais « rassurez-vous », il garde un potentiel de révolte qui augmente en proportion inverse.

Quant à la réintégration des pouvoirs délégués aux collaborations intercommunales, qui n’avait pas forcément besoin d’une fusion pour se réaliser, elle est relative, dans le cas de la fusion, car vous remarquerez avec moi au passage que depuis la deuxième législature, le Conseil Communal de VdT est composé de 4 conseillers sur 5 provenant du seul village de Couvet et que déjà deux villages n’ont plus qu’un représentant au Conseil Général sur 41…

Tout cela avec l’ambition de créer la ville à la campagne…

Mais je voudrais tout de même terminer cette longue digression en revenant sur les points essentiels de mon article, qui finalement ne parlaient pas de motivations purement financières et bureaucratiques, mais formulaient cinq affirmations que je résume encore une fois pour vous :

1. Les fusions de communes représentent un glissement de compétence décisionnelle vers le niveau supérieur. Ceci est un vrai problème pour qui se préoccupe de démocratie.
2. Les fusions de communes, à l’échelle où elles sont menées aujourd’hui, représentent une attaque frontale contre la communauté politique de base.
3. Face aux problèmes indéniables qui se posent à certaines communes, on pourrait fort bien imaginer d’autres solutions pour aider la résilience de celles-ci.
4. La litanie des poncifs (ex : la masse critique) qui servent d’arguments pro-fusion cache en réalité une volonté de dérégulation de la démocratie, dernier obstacle à une dérégulation économique totale.
5. La maladie des fusions de communes prend la forme d’une épidémie sans vaccin disponible.

Et ma conclusion :

Ne bradons pas notre liberté pour le plat de lentille des fusions !

Opinions Agora Bernard Hugo

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