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Des seniors abandonnés du fait de l’exil de leurs enfants

MOLDAVIE • Autrefois considérée comme le «grenier à grain de l’URSS», la République de Moldavie, prise en étau entre l’Ukraine et la Roumanie, est devenue le pays le plus pauvre d’Europe. Un tiers de la population active quitte le pays, y laissant vieillards et enfants. Reportage de Joëlle Herren Laufer, de l’EPER.  

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JOËLLE HERREN LAUFER*, DE RETOUR DE MOLDAVIE
Assise sur une chaise en fer sur le perron de sa petite maison, Mme Dimitriv, 82 ans, attend son aide-soignante. Quand elle arrive, son visage s’illumine. Dans sa solitude quotidienne, toute visite constitue une vraie distraction. Liliane, l’aide-soignante, est accueillie avec chaleur, comme si elle était sa propre fille. «C’est mon bras droit!», s’exclame Mme Dimitriv. Liliane la soigne deux à trois fois par semaine. Elle lui prend la tension et lui prodigue des massages aux pieds car elle peine à se déplacer. Neagu, l’aide-ménagère, passe aussi fréquemment pour l’aider à cuisiner et s’occuper du ménage dans ses deux pièces où le fourneau, intégré au mur, tient une place centrale pour affronter les longs hivers.

Nous sommes dans le village de Pârlita, au nord de la Moldavie. Ici, comme partout dans ce pays agricole vallonné, nombre de femmes retraitées vivent dans des conditions précaires. Mme Dimitriv travaillait dans un kolkhoze quand la Moldavie était encore une République soviétique. Aujourd’hui, elle touche une maigre retraite de 60 francs par mois correspondant à la moitié du minium vital. Elle a bien quatre enfants, mais ils sont loin, en Russie et ailleurs, et ne lui rendent que de rares visites.

Cette réalité illustre bien le drame moldave: quantité de maisons sont abandonnées et les champs laissés en friche. Un tiers des presque 4 millions d’habitants quittent le pays en mal de travail. La plupart des exilés sont saisonniers en Russie, car aucun visa n’est requis pour un séjour de trois mois. Les autres vivent, le plus souvent illégalement, en Roumanie, Italie, Grèce, Espagne, Portugal ou France. Si ces exils permettent des apports financiers au pays, les conséquences sociales sont terribles pour toute une génération d’enfants et de personnes âgées livrés à eux-mêmes. Mme Tatiana, 78 ans, est cloîtrée dans sa maison. Ses enfants, exilés en France et en Russie, lui envoient bien de l’argent pour remplir son frigo, mais elle est complètement seule avec son hépatite et ses douleurs qui la clouent au lit. Sa seule compagnie est une télévision qui grésille.

C’est dans ce contexte que l’Entraide protestante suisse (EPER) a créé, en 2010, un Service d’aide à domicile (CASMED) pour que les personnes âgées isolées, malades ou peu mobiles puissent malgré tout rester chez elles. Actif dans onze villages du nord, le projet CASMED touche près de 300 bénéficiaires auxquels sont rendues entre 20 000 et 25 000 visites par année, aussi bien pour des soins médicaux que pour des aides ménagères ou pratiques comme déblayer la neige en hiver, allumer un feu, faire des courses ou la lessive.

Dans chaque village, CASMED demande la participation financière et pratique des autorités; ce sont elles qui fournissent les locaux contenant des bureaux et une machine à laver le linge, paient une partie des salaires et des produits d’hygiène. CASMED gère les soins médicaux et délègue les soins sociaux à des associations locales. «Ce qui nous différencie des autres institutions, c’est que nous demandons une participation financière modeste aux bénéficiaires, explique Véronica Cazacu, la directrice des projets de l’EPER en Moldavie. Nous contribuons ainsi à une amélioration globale des services sociaux dont la communauté à besoin et avons bon espoir d’inscrire notre action dans la durée», renchérit-elle.

Les soins médicaux de Mme Dimitriv achevés, Liliane, l’aide-soignante, laisse la place à Neagu, l’aide sociale. Elle apporte de l’eau dans un seau, car la maison ne dispose pas d’eau courante. Neagu amène également des légumes pour préparer une soupe. Mme Dimitriv nous confie qu’elle revit depuis qu’elle est suivie régulièrement: «Grâce aux massages, je peux à nouveau marcher, je peux même me rendre toute seule à l’église!». Les employées de CASMED constatent effectivement de grands progrès chez les patients qu’elles prennent en charge. Et la directrice de demander: «Qu’y a-t-il de plus important que de pouvoir vivre cet âge de la vie dignement et entourée?»

* Entraide protestante suisse (EPER).
Article rédigé à l’occasion de la Journée internationale pour les personnes âgées du 1er octobre.

Opinions Agora Joëlle Herren Laufer

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