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«En quoi les interventions armées ont-elles apporté la paix?»

SYRIE • Saluant le retour à une gestion de la crise syrienne axée sur la diplomatie, Eric Decarro estime que les auteurs des attaques à l’arme chimique doivent être jugés, quels qu’ils soient.  

La perspective d’une intervention militaire des Etats-Unis et de la France en Syrie s’éloigne et c’est tant mieux! Il y a trois semaines, les gouvernements Obama, Hollande et Cameron annonçaient urbi et orbi le bombardement imminent du régime syrien pour «le punir» de sa présumée utilisation de l’arme chimique.

La Chambre des communes, en désavouant le gouvernement Cameron, a donné un premier coup d’arrêt à cet élan guerrier. Les parlementaires se sont souvenus des mensonges avancés par Blair pour justifier la guerre en Irak. Le président Obama a dès lors décidé de soumettre la question au Congrès, prenant ainsi de court le gouvernement français. La proposition diplomatique de la Russie a ensuite offert une porte de sortie au gouvernement Obama qui risquait d’être à son tour minorisé au Congrès, vu l’opposition de la population américaine à une telle intervention.

Un accord a finalement été trouvé entre Russes et Américains pour soumettre l’armement chimique du régime syrien à un contrôle international en vue de sa destruction. L’escalade militaire est pour l’heure conjurée, mais les Etats-Unis et la France maintiennent la menace militaire en cas d’achoppement des négociations sur les points concrets.

Le recours à l’arme chimique dans la guerre civile qui déchire la Syrie a suscité émotion et réprobation au niveau mondial. L’opinion publique est bouleversée par les images qui nous parviennent de cette guerre qui a fait plus de 100 000 morts, et entraîné l’exode de 6 millions de personnes (4 millions de déplacés en Syrie; 2 millions de réfugiés dans des pays environnants).

Quel que soit le camp qui a utilisé l’arme chimique, cet acte doit être condamné et leurs auteurs jugés.

Il est vraisemblable que le régime de Bachar en est responsable, lui qui n’a pas hésité à envoyer tanks et avions bombarder son propre peuple. La méfiance s’impose cependant suite aux mensonges avancés pour justifier la guerre en Irak.

Même si la preuve devait être faite que le gouvernement syrien est bien le responsable de cet acte barbare, cela ne justifie nullement à mon sens que les Etats-Unis et la France bombardent la Syrie «pour punir» le régime d’Assad.

Les Etats-Unis et la France envisageaient de bombarder la Syrie sans mandat de l’ONU et en dehors de toute légalité internationale. Ils s’érigeaient en gendarmes du monde comme si les pays émergents qui représentent trois quarts de l’humanité et s’opposent unanimement à cette intervention étaient quantité négligeable. Une telle intervention aurait renforcé toutes les tensions au niveau mondial entre pays occidentaux d’une part, Chine et Russie de l’autre

Les Etats-Unis et la France prétendaient intervenir en Syrie dans le seul but de «protéger la population». En quoi des bombardements, avec leurs inévitables «effets collatéraux» protégeraient-ils la population? Ils ne feraient qu’ajouter de la souffrance à la souffrance. Le triplement des flux de réfugiés à la simple annonce des frappes en a témoigné.

Le bilan des guerres et bombardements occidentaux ces dix dernières années est désastreux. En quoi ces interventions ont-elles apporté la paix, la démocratie et la sécurité en Afghanistan, en Irak et en Libye?

Une intervention militaire ne pourrait qu’aggraver encore la situation et rendre plus difficile une solution politique. Elle ne tient compte ni de la complexité de la situation en Syrie ni du caractère explosif de la situation au Moyen-Orient.

Les forces de l’opposition démocratique qui exigent la chute de la dictature seraient prises en étau entre les forces du régime et les milices jihadistes financées à grands frais par l’Arabie saoudite et le Qatar. Ces dernières semblent devenues dominantes au sein de la rébellion et imposent leurs principes basés sur la charia dans les zones qu’elles contrôlent. Quant aux minorités religieuses et ethniques, elles soutiennent le régime syrien de peur d’une épuration en cas d’écroulement de celui-ci. Comme le dit Dominique de Villepin «une telle intervention ne profiterait qu’aux plus méchants», dans les deux camps.

Que pourrait-il résulter d’autre d’une telle intervention que le chaos en Syrie et un embrasement du Moyen-Orient pouvant impliquer le Liban, l’Irak, l’Iran, la Turquie, la Jordanie et Israël. Mais peut-être est-ce bien là le but de l’impérialisme américain dans cette région stratégique et riche en pétrole.

Pour Hollande comme pour Obama, une telle intervention présentait l’avantage de faire oublier la crise, la montée du chômage et de la précarité. Curieux comme les problèmes budgétaires s’évanouissent dès qu’il est question de partir en guerre!

* Militant de gauche anticapitaliste, Genève.

Opinions Agora Eric Decarro

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