Lettre ouverte au procureur général Olivier Jornot
Monsieur le Procureur général,
En tant que plus haut magistrat du parquet, vous avez la responsabilité morale du bon fonctionnement de la justice dans notre république, et devriez scrupuleusement veiller à l’application des normes d’un Etat de droit promoteur des droits de l’homme.
Avec l’incarcération sans fondements de l’ex-colonel égyptien Mohamed El-Ghanam depuis 2007, les autorités genevoises s’enfoncent chaque mois un peu plus dans des pratiques que l’on croyait réservées aux satrapes exotiques. Citoyen animé par l’idéal de justice, je vous demande publiquement de donner des explications aux éléments choquants qui suivent.
M. El-Ghanam, docteur en droit, spécialiste renommé de la lutte antiterroriste, dissident anticorruption aux positions libérales, n’a jamais blessé personne. Son seul tort est d’avoir brandi un couteau pour se défendre à Uni-Mail en février 2005 alors qu’il se disait agressé par deux inconnus.
Comment expliquer que les faits n’ont jamais été jugés, et que les protagonistes de cette altercation n’ont donc jamais été entendus par un tribunal, maintenant que nous savons qu’El-Ghanam a été considéré comme irresponsable (d’où le non-lieu) sur la base d’une expertise psychiatrique du Pr Harding ayant violé la déontologie médicale, le psychiatre n’ayant jamais vu l’ex-colonel?
Comment expliquer que les droits de la défense ont été gravement bafoués durant cette procédure: le non-lieu, suivi d’une décision d’internement administratif, ayant été prononcé sans la présence de l’intéressé, qui n’avait de plus pas d’avocat, alors qu’il était accusé de tentative de meurtre et qu’il risquait gros?!
Comment expliquer que la notification de la sentence et des voies de recours (par ailleurs erronées) lui aient été adressées à un domicile d’où il avait été préalablement expulsé après avoir perdu son statut de réfugié politique en 2006?!
Comment justifier que sa détention à Champ-Dollon fut cachée au grand public jusqu’à ce que la société civile genevoise la révèle au printemps 2011, alors qu’il s’agissait d’un des plus importants prisonniers du canton? Même son frère Ali, réfugié aux Etats-Unis, ne savait pas où se trouvait Mohamed.
El-Ghanam a été accusé en 2005 d’être un suppôt d’Al-Qaïda, sur la base de courriels et de déclarations ambiguës trouvées sur internet. Tout cela est facilement manipulable par n’importe quel service secret et n’a logiquement pas de valeur au niveau pénal.
Quant à la plainte (lourde de conséquences) de Micheline Spoerri, qu’El-Ghanam aurait menacée de mort, qu’attendez-vous pour engager des poursuites à l’encontre de l’ancienne conseillère d’Etat pour dénonciation calomnieuse puisqu’elle a depuis reconnu publiquement qu’il n’en était rien?
Plus important encore: où en est la procédure contre le policier Mettraux, de la BRIS (une officine des services secrets au sein de la PJ), qui a rédigé le faux rapport d’octobre 2005 mentionnant qu’El-Ghanam avait éventré un homme à Uni-Mail? Vous aviez annoncé en juin 2012 qu’une enquête était ouverte. Ce faux, ajouté au rapport psychiatrique bidon, a été déterminant dans la décision d’internement administratif.
Comment expliquez-vous par ailleurs que le directeur de Champ-Dollon ait de facto empêché en 2012 pendant plus de huit mois les psychiatres vaudois désignés par la Cour de justice de réaliser leur contre-expertise, en leur interdisant l’accès à la cellule de l’ex-colonel, alors que tout le monde savait qu’il ne se rendait strictement jamais au parloir?
Comment justifiez-vous enfin votre récent recours suspensif (début juin) au Tribunal fédéral pour empêcher le transfert d’El-Ghanam à Belle-Idée, en milieu ouvert, comme finalement décidé par la Chambre pénale d’appel et de révision le 15 mai dernier? Après le chef de la psychiatrie à Champ-Dollon (Dr Eytan) et celui de la médecine pénitentiaire aux HUG (Dr Wolff), deux nouveaux psychiatres venaient pourtant de constater qu’El-Ghanam n’était a priori pas dangereux.
Les Genevois attendent des réponses claires à toutes ces questions, et surtout des actes replaçant notre canton dans le cadre normal du droit et du respect des droits de l’homme. Faute de quoi, tout comme votre prédécesseur Zappelli, vous devrez un jour rendre des comptes.