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«Même s’il peut en résulter pour eux des inconvénients sérieux»

ASILE • Une lecture attentive de la nouvelle mouture de la Loi sur l’asile devrait suffire pour la rejeter, estime Karl Grünberg.  

Le 9 juin 2013, grâce au référendum, je rejetterai le projet de loi contre l’asile qu’ont élaboré les services de Simonetta Sommaruga. Faut-il argumenter contre cette politique? La seule lecture du projet ne suffit-elle pas à convaincre qu’il doit être rejeté? Ce texte cynique pointe les sérieux préjudices menaçant les déserteurs et décide qu’ils ne sont pas des réfugiés.

Art. 3, al. 3: «Ne sont pas des réfugiés les personnes qui, au motif qu’elles ont refusé de servir ou déserté, sont exposées à de sérieux préjudices ou craignent à juste titre de l’être. Les dispositions de la Convention du 28 juillet 1951 relative au statut des réfugiés sont réservées.»

Poursuivons la lecture. La duplicité, le code ADN de la politique des étrangers1 value="1">Dès 1933, la politique de rejet des Juifs les nommait «étrangers» ou «émigrants» pour ne pas voir en eux des réfugiés. imbibent ce texte patelin: la nouvelle politique contre les réfugiés empêche désormais «de déposer une demande d’asile dans une représentation suisse à l’étranger» mais «les personnes en proie à un danger imminent peuvent toujours entrer en Suisse si elles obtiennent un visa humanitaire. Un visa de ce type est octroyé pour trois mois par les autorités compétentes (par le Département fédéral des affaires étrangères après consultation de l’Office fédéral des migrations)». Hypocrite prose fédérale. Comment une personne en danger imminent s’y prend-elle pour demander paisiblement à Berne de prendre en considération sa demande de visa? Ah, si nos compatriotes connaissaient la cruelle routine des demandes de visa formatée pour susciter des réponses négatives.

Et que dire des centres pour «requérants récalcitrants»? Vingt ans de propagande liant les «abus dans le droit d’asile» et le «sentiment d’insécurité» accréditeront-ils l’existence de cette nouvelle catégorie sociologique? Les lecteurs parviendront-ils malgré ce formatage à lire ce qui est clairement écrit: au sein de ces nouveaux centres fédéraux seront aménagés des centres pour délinquants récalcitrants et des organes d’application des mesures de contrainte «pour permettre à la Confédération de renvoyer dans une plus large mesure les requérants dont la demande d’asile a été rejetée». Ah, la voilà donc la définition du requérant récalcitrant!?

Malgré les sérieux préjudices menaçant les déserteurs, ils ne sont pas des réfugiés. Cette funeste formulation semble l’écho de la décision que prenait le Conseil fédéral le 4 août 1942: «L’afflux des réfugiés civils est cependant, ainsi qu’on a pu le constater, de plus en plus organisé. Des passeurs professionnels sont à l’œuvre. L’afflux a pris, ces derniers mois, une telle ampleur et un tel caractère qu’il est nécessaire d’appliquer de nouveau rigoureusement l’article 9 de l’arrêté du 17 octobre 1939. Cela signifie qu’il faudra refouler plus souvent les réfugiés civils, même s’il peut en résulter pour eux des inconvénients sérieux (mise en péril de la vie ou de l’intégrité corporelle)»2 value="2">http://etat.geneve.ch/dt/SilverpeasWebFileServer/06_-_Evolution_de_la_pratique_d_asile_-_chronologie_des_instructions_successives.pdf?ComponentId=kmelia106&SourceFile=1098351708014.pdf&MimeType=application/pdf&Directory=Attachment/Images/.

Le Conseil fédéral était informé du massacre des Juifs d’Europe. La fermeture des frontières empêchait que ne se réfugient en Suisse des Juifs cherchant à fuir la France après la grande rafle du Vel d’Hiv avec laquelle débutait dans ce pays la solution finale: «Ceux qui n’ont pris la fuite qu’en raison de leur race, les juifs par exemple, ne doivent pas être considérés comme réfugiés politiques (sic)3 value="3">Circulaire du chef de la Division de police du Département de justice et police H. Rothmund aux Directions et Commandements de police des cantons. Confidentiel N° 296. Berne, le 13 août 1942. Archives de la Confédération E 2001 (D) 2/112 (Annexe II)».

Et qu’on ne vienne pas nous dire que la Shoah est incomparable à tout autre massacre. Nous ne le savons que trop: dans notre histoire, elle restera à jamais le premier de cette ampleur.

En 1983, les autorités suisses ont entamé le constant dénigrement des réfugiés dont cette 10e révision marque une nouvelle étape. Depuis trente ans, 64 guerres et des millions et des millions de morts endeuillent notre planète. L’immense majorité de ceux qui espèrent trouver un asile chez nous proviennent de ces théâtres d’opérations.

Se trouvera-t-il quelqu’un pour soutenir que leur rejet n’a rien à voir avec un racisme d’Etat lorsqu’on sait que dès 1991 les autorités fédérales ont décidé que «les ressortissants des pays qui n’ont pas les idées européennes (au sens large)» ne devaient pas être autorisés à séjourner en Suisse4 value="4">Message du Conseil fédéral (15/05/91).?

Et nous savons tous que la Suisse, durant la Deuxième Guerre mondiale, accueillait les déserteurs. Malheureusement pour eux, aujourd’hui, celles et ceux qui cherchent à fuir la guerre ne la subissent pas dans les pays aux «idées européennes (au sens large)»!
 

Notes[+]

*ACOR SOS Racisme.

Opinions Agora Karl Grünberg

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Votations du 9 juin 2013

mardi 30 avril 2013
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