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Il faut sauver les retraites!

VAUD • Une partie de la fonction publique vaudoise était en grève, hier, contre le plan de recapitalisation de la caisse de pensions de l’Etat. Cette réforme, selon Antoine Chollet, participe au processus d’affaiblissement des retraites enclenché par la droite à l’échelle nationale.

Or donc, le Conseil d’Etat vaudois a décidé que les simagrées des employé-e-s de la fonction publique concernant leurs retraites l’agaçaient et qu’il était temps d’y mettre fin. Qu’importent les centaines de grévistes d’hier, les établissements fermés, la foule dans la rue criant sa colère et son indignation, il faut bien que chacun-e sache qui commande dans le canton! On avait cru mettre une majorité «de gauche» au Château, on n’y trouve que de très habituels gens de pouvoir, s’identifiant à un Etat dont la logique les domine, contemplant ses finances comme Harpagon ses écus et divisant les représentant-e-s du personnel pour mieux régner sur sa maison, comme le ferait n’importe quel patron.

Rappelons les faits: dans son entreprise de démontage systématique des retraites, la droite fédérale décide en 2010 que les caisses publiques devront afficher un taux de couverture de 80% en 2052, objectif évidemment complètement farfelu puisque personne ne sait ce qui se passera d’ici là. Elle ajoute toutefois – c’est là le point important – que les plans de recapitalisation, là où ils sont nécessaires, devront entrer en vigueur au plus tard le 1er janvier 2014. C’est ce qui explique l’empressement actuel des relais cantonaux de cette droite (i.e. le Conseil d’Etat) à ficeler un plan concernant la Caisse de pension de l’Etat de Vaud (CPEV), dont le taux de couverture se situe actuellement aux alentours de 60%. Précisons, car c’est important, que l’argent perdu ces dernières années par les caisses de pension publiques et privées s’explique exclusivement par l’effondrement des marchés financiers depuis 2007, et non par les épouvantails habituellement agités par la droite lorsqu’on parle des retraites, à savoir «l’allongement de la durée de la vie», «la diminution du nombre d’actifs pour un-e retraité-e» et autres balivernes d’apprentis économistes.

Cela fait trente ans que la droite cherche à affaiblir les retraites en Suisse. Elle a tout d’abord rendu obligatoire le 2e pilier en 1985, ce qui lui a permis de baisser progressivement le niveau réel des rentes AVS. Cela fait d’ailleurs longtemps que l’obligation constitutionnelle qui est donnée à cette dernière d’assurer le minimum vital n’est plus remplie. L’étape suivante consiste à dégrader de la même manière les rentes du 2e pilier afin de précipiter tout le monde dans d’onéreux plans de prévoyance privés (le «3e pilier»), à partir desquels des profits colossaux peuvent être légalement extraits en toute impunité. En résumé, la droite a d’abord attaqué les retraites par répartition (l’AVS), qui commettent chaque année le crime d’assurer la solidarité entre tout le monde et de dégager des bénéfices qui n’appartiennent pas aux puissant-e-s. Elle dirige maintenant son tir vers les retraites par capitalisation régulées par la loi et obligatoires au-dessus d’un certain revenu (le 2e pilier), afin de pouvoir enfin privatiser complètement le secteur de la retraite. Rappelons que les sommes en jeu sont immenses puisqu’elles dépassent le PIB annuel de la Suisse pour les seuls avoirs du 2e pilier (plus de 600 milliards de francs).

La retraite par capitalisation est un mauvais système. Cher, très sensible aux aléas de la conjoncture, exposé à l’inflation, il est à terme voué à la faillite s’il ambitionne de distribuer autre chose que des clopinettes aux retraité-e-s. Le 2e pilier constitue pourtant la seule base qui permettra d’étendre le système de retraites par répartition, puisqu’il est obligatoire d’une part, et financé par une cotisation salariale et patronale d’autre part (comme l’AVS, mais contrairement aux plans de prévoyance privés). C’est la raison pour laquelle il faut se battre pour que le 2e pilier demeure un outil sérieux de financement des retraites. C’est aussi la raison pour laquelle il est déterminant de défendre les caisses de pension publiques, car elles assurent – pour le moment du moins – de meilleures conditions que les plans de prévoyance de la plupart des entreprises privées, en garantissant notamment une cotisation employeur plus élevée. Toute dégradation des rentes ou des conditions d’accès aux rentes du secteur public se répercutera très rapidement sur celles du privé, les caisses publiques fixant d’une certaine manière l’étalon à partir duquel les caisses privées peuvent jauger les minimums qu’elles offrent à leurs assuré-e-s.

Dans ce cadre, la lutte pour la cotisation sociale sur le salaire et pour la généralisation d’un salaire différé substantiel (ce que sont encore nos retraites, mais peut-être plus pour très longtemps) est un objectif stratégique capital pour la gauche de tous les pays européens. Apparemment, cela a échappé à certains de ses représentant-e-s dans le canton de Vaud, qui essaient en ce moment même de casser les retraites de la fonction publique. On voudrait offrir sur un plateau des milliers de client-e-s dociles aux caisses de pension privées proposant des 3e piliers très lucratifs (pour les caisses, on l’aura compris) qu’on ne s’y prendrait pas autrement. C’est vraiment à désespérer de voter pour cette «gauche de gouvernement»…
 

Opinions Agora Antoine Chollet

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