Saucissonnage pernicieux
Le 28 septembre, l’Assemblée fédérale a adopté les mesures d’urgence présentées par la conseillère fédérale socialiste Simonetta Sommaruga. Ce premier volet du découpage de la réforme de la loi sur l’asile (LAsi) ne fait qu’anticiper deux potions ordinaires, déjà en chantier et gardées en réserve de session parlementaire. L’emblème du cervelas débité illustre à merveille le saucissonnage de ce legs indigeste. La magistrate nous a fait gober la première ration en urgence, inhibant l’effet suspensif du référendum ordinaire. Refuser d’ingurgiter ce hors-d’œuvre est, en dépit des esprits effarouchés par le plat de résistance, indispensable pour éviter l’intoxication.
Si l’ensemble du menu mérite d’être approfondi, nous ne traitons ici que de l’apéritif: l’abrogation de toute procédure d’asile à partir d’une ambassade suisse. Le Conseil fédéral affirme sans sourciller dans son message sur l’ensemble de la révision projetée que «la Suisse est aujourd’hui le seul Etat européen à admettre le dépôt d’une demande d’asile auprès de son ambassade dans le pays de provenance concerné».
Cet argument, seul du condensé, trahit son importance aux yeux d’autorités plus gourmandes d’exceptionnalité humanitaire que fiscale ou bancaire. S’aligner sur les moins-disants des Européens ruine une réputation qu’un simple balayage de la toile démontre en outre reposer sur de l’esbroufe.
Par exemple, les demandeurs d’asile en France peuvent, sur accord de l’organisme compétent, obtenir depuis l’étranger un visa de long séjour «au titre de l’asile», qui permet d’entrer légalement en France y déposer la demande. Des sites d’information aux migrants l’attestent. Mieux, le site officiel vosdroits.service-public.fr précise: «Si l’étranger est porteur d’un visa de long séjour délivré au titre de l’asile, la préfecture lui remet un récépissé de 6 mois, mention étranger admis au titre de l’asile», l’autorisant à travailler.
Autre exemple, la Suède a ouvert début juillet son ambassade à Ankara et son consulat à Istanbul aux ressortissants syriens. Rechercher en plusieurs langues permettrait d’étendre la liste des pays européens où existent des dispositifs ne différant que marginalement de celui en vigueur jusqu’ici dans nos ambassades.
Invoquer l’urgence pour évincer 2,1% de demandeurs additionnels en moyenne depuis 2006 abuse une opinion que les experts galonnés auraient dû alerter. Députés, chroniqueurs et médias ont été complices, ou sujets à vanité nationaliste, au point d’omettre de vérifier les informations biaisées que leur ont hypocritement servies les autorités.
Pourquoi céder du terrain aux éternels trépignements de l’UDC qui avait, il y a cinq ans, afflux aux ambassades aidant, poussé l’Office des migrations à mettre illégalement sous le boisseau 7000 à 10 000 demandes d’asile irakiennes déposées au Caire et à Damas, sinistre prologue à l’abrogation actuelle de ce droit? Pour d’évidentes raisons géopolitiques, les demandes dans la région ont pris l’ascenseur en 2006. Le rôle, minoritaire, des ambassades dans cet afflux a précipité la course des autorités à la baisse de l’attractivité supposée de notre «pays de Cocagne», apparemment peu affectée par les précédents volets de durcissement.
En abolissant aujourd’hui, après d’autres, la possibilité d’adresser une demande d’asile depuis l’étranger, la Suisse va carrément à contre-courant d’une évolution reconnue indispensable au niveau de l’UE. L’absence d’accès légal au territoire européen pour les demandeurs de protection internationale constitue une véritable prime à la clandestinité et aux profiteurs d’un marché que les barricades rendent toujours plus lucratif. Elle est responsable de plusieurs milliers de morts tragiques des plus vulnérables.
A l’heure où l’urgence de mécanismes légaux d’entrée et l’indépendance des procédures par rapport au mode d’arrivée est reconnue, des commentateurs mal inspirés minimisent la portée d’une abolition qu’ils tiennent pour plus symbolique que substantielle (sic). Ils s’abritent derrière la possibilité de visas humanitaires alors que la récente majorité de Somaliens et Erythréens, faute de représentation suisse, viennent d’en être exclus. Refouler ces demandes dès 2006 aurait envoyé plus de mille authentiques réfugiés à la noyade: macabre symbolique.
L’Office fédéral de la justice, sollicité par la commission des institutions politiques du Conseil des Etats, estimait les conditions constitutionnelles de l’urgence imparfaitement remplies. Mme Sommaruga a passé outre. Pire encore, ce même office met en garde qu’au contraire de nouvelles dispositions d’une loi votée en urgence, caduques après trois ans faute d’adoption en ordinaire, l’abolition d’une procédure existante, telle celle des ambassades, a valeur définitive, même sans mention dans la future révision. Bel argument en faveur du référendum, seul moyen de ne pas pérenniser cette mesure intolérable.
C’est en rejetant d’authentiques candidats à l’asile, sans contribuer à l’indispensable accélération des procédures, que le gouvernement entend aujourd’hui résoudre un afflux qu’il a renforcé en étranglant l’immigration légale de travail ou le regroupement familial et en détournant le droit d’asile de son but. Les vrais abuseurs du droit d’asile sont tout trouvés: ils sont au gouvernement.
* Membre de la Coordination contre l’exclusion et la xénophobie.