ACTA: les habits neufs de l’impérialisme
A première vue, l’Accord commercial anti-contrefaçon (acronyme anglais: ACTA) se concentre sur l’Internet et son usage récent, en particulier le web 2.0. Comprenez sur la possibilité pour les internautes de publier, de copier et de dupliquer du contenu sur la Toile. Plusieurs modèles de lois s’inspirent déjà de l’ACTA pour brider ce qui passe pour une liberté individuelle pour de nombreux utilisateurs. Il y a Hadopi et Loppsi en France, il y a eu les tentatives PIPA et SOPA aux Etats-Unis, la loi Sinde-Rajoy en Espagne, alors que plusieurs projets de loi ont tenté de renforcer le contrôle du Net en Italie. La fermeture spectaculaire du site Megaupload et la mise en accusation de son propriétaire bling-bling s’inscrivent dans la même tendance.
A l’origine de l’ACTA, la volonté d’Etats du monde impérialiste, appuyée par de grandes transnationales, de lutter contre les «contrefaçons». Au Japon et aux Etats-Unis se sont jointes ensuite l’Union européenne et la Suisse, puis l’Australie, la Nouvelle-Zélande, le Canada et quelques autres. Dès le départ, toutefois, des intérêts privés, ceux de l’industrie du cinéma, des logiciels et de la musique, mais aussi de l’industrie pharmaceutique, ont été «informés» de ces négociations, tenues secrètes. La stratégie était double: d’une part, contourner les organismes internationaux chargés de ces questions, l’Organisation mondiale de la propriété intellectuelle (OMPI) et l’Organisation mondiale du commerce (OMC). D’autre part, créer un état de fait forçant les autres pays à se rallier aux pratiques instaurées par le groupe initial. Non pas que l’OMPI et l’OMC aient soudainement versé dans un bolchévisme agressif, mais ces enceintes internationales auraient pu se faire l’écho de l’opposition de quelques pays spoliés par cet accord. Le site La Quadrature du Net constate ainsi: «Tout se passe comme si les pays riches décident de ne respecter le droit international que lorsque cela sert les intérêts de leurs lobbies nationaux.» Réfugiés derrière la barrière des brevets, dont les dépôts se sont multipliés ces dernières années, les pays impérialistes entendent bien casser toutes les logiques non marchandes ou reposant sur la facilité de copie de l’immatériel par le biais des fichiers informatiques.
L’exemple des génériques anti-VIH montre ce que pourrait être un contrôle renforcé des «contrefaçons». En 2008, plusieurs bateaux provenant d’Inde et à destination de pays pauvres ont été bloqués temporairement en douane en Europe. Ils transportaient des médicaments génériques, copies légales dans le pays d’origine et de réception, mais pas en Europe, où les règles de protection des brevets – et des surprofits de la pharma – sont plus strictes. Même scénario à l’aéroport de Schipol aux Pays-Bas en février 2009. Pour Alexandra Heumber, de Médecins sans frontières, «on risque d’arriver à des situations similaires où le transit de médicaments génériques à travers le monde pourrait être stoppé s’il y a suspicion de contrefaçons de brevets» (Le Monde diplomatique, mars 2010). Cet objectif de l’ACTA de bloquer en l’état la division internationale du travail (au Nord, la conception, les brevets, le luxe et la valeur ajoutée, au Sud l’agriculture et l’industrie, en gros) explique l’opposition de pays comme le Brésil, la Chine et l’Inde.
Mais ACTA a peut-être eu les yeux plus gros que le ventre. En ouvrant la porte à des possibilités de contrôle dantesques (votre disque dur pourrait être contrôlé aux frontières), en élargissant la possibilité pour les ayants droit d’accéder à vos informations personnelles sans passer par un juge, en entraînant possiblement la fermeture de la plupart des plateformes de blogs ou des hébergeurs de contenus, ACTA a mobilisé contre lui des populations souvent jeunes et peu versées dans l’action politique.
Des plus de deux millions de signatures de la pétition européenne, en passant par les manifestations de la journée mondiale du 11 février, l’opposition à ACTA a déjà ébranlé les certitudes d’un certain nombre d’Etats. Il n’y pas raison de ne pas arriver au même résultat en Suisse. Il faut renvoyer ACTA aux archives de l’histoire, en faire une affaire classée; en bref et en latin: ad acta.
ACTA ad acta!, comme scandaient les dizaines de milliers de manifestant-e-s du 11 février.
* Paru dans le bimensuel solidaritéS n°205, du 16 mars 2012. www.solidarites.ch/journal/d/article/5242