Chroniques

Terroristes et cinéma

CIN-OPTIQUE
Cinéma

La mort de Ben Laden devrait faire fleurir les projets de scénarios du côté d’Hollywood, même si, dans un premier temps, elle a interrompu un projet de Kathryn Bigelow (première réalisatrice à avoir remporté un Oscar pour Démineurs) retraçant l’échec d’un commando à la poursuite de l’homme le plus recherché de la planète.
Je crains d’ailleurs que ces projets portent très majoritairement sur les opérations militaires ayant permis la capture de Ben Laden et donnent naissance à de purs films d’action. Or ce que j’appelle de mes vœux, c’est un film qui permette une compréhension plus fine de ce personnage, de sa lutte, de ses motivations, de la façon dont s’est constituée son image, noire ou blanche.
Le duo «terrorisme et cinéma» a souvent donné de fort mauvais films, mais quelques réussites méritent d’être évoquées, qui pourraient inspirer des cinéastes d’aujourd’hui à propos de Ben Laden. L’Allemagne et l’Italie, on s’en souvient, ont été particulièrement marquées par le terrorisme dans les années 1970-1980, ce qui a conduit Margarethe von Trotta à réaliser en 1981 Les Années de Plomb/Die Bleierne Zeit, film dans lequel, s’inspirant des destins de Christiane et Gudrun Ensslin (morte le même jour que Baader), elle dessine le portrait de deux sœurs, l’une choisissant le journalisme, l’autre le terrorisme. Ce film émouvant montre le rôle primordial des femmes dans les luttes politiques de ces années-là et dénonce la responsabilité de l’Etat dans la dérive terroriste.
Pour l’Italie, Marco Bellocchio dans Buongiorno, notte (2003) imagine l’huis clos entre Aldo Moro et ses ravisseurs des Brigades rouges. En filmant cette confrontation, le cinéaste fait moins œuvre d’historien (même s’il montre le présent de l’enlèvement et des réactions de la classe politique par des images d’archives) que d’artiste qui propose, vingt ans après, une réflexion sur le caractère apparemment absurde de ce meurtre. Certains ont reproché à Bellocchio d’avoir trahi ses propres idéaux politiques d’extrême-gauche (les trois brigadistes masculins sont dépeints comme des fanatiques orgueilleux) et d’avoir abandonné le cinéma politique pour un cinéma trop classiquement psychologique (au centre de ce «groupe familial dans un appartement», l’image paternelle de Moro amène Chiara à douter de la légitimité de l’exécution programmée). Reproche étonnant: le cinéma de Bellocchio ne cesse de réfléchir sur les liens entre inconscient et engagement politique, ici entre inconscient et terrorisme. Plutôt que de porter un jugement, le cinéaste tente dans Buongiorno, notte d’esquisser et de tisser entre elles plusieurs pistes pour comprendre l’assassinat d’Aldo Moro.
Autre film sur un terroriste peut-être plus «proche» de Ben Laden par la dimension très internationale de son action: Carlos (2010) d’Olivier Assayas, proposé en version longue pour la télévision (5h30) et version courte pour le grand écran (2h45). Ce film retrace l’histoire de celui qui fut pendant deux décennies le terroriste le plus recherché de la planète. Au gré des différents épisodes racontés se dessine le portrait d’un rejeton de la bonne bourgeoisie sud-américaine qui joue au révolutionnaire: celui qui a terrorisé le monde entier au nom d’idéaux égalitaires ou au nom d’un engagement pro-palestinien peut-être sincères apparaît aussi comme un mégalomane toujours prêt à abuser de sa séduction naturelle (sur les filles comme sur les dirigeants politiques), de son goût du déguisement, des métamorphoses et des armes, tuant avec une totale absence de scrupules (qu’il qualifie de «petits-bourgeois»). Ici encore, certains ont reproché au cinéaste d’avoir fait un film sans vraie dimension politique ou épique en s’attachant surtout à peindre la vie quotidienne sans gloire d’Ilich Ramirez Sanchez…
J’avoue quant à moi attendre avec impatience qu’un cinéaste me fasse découvrir qui était l’homme ordinaire qui se cachait derrière l’image de Ben Laden.

 

* Cinéphile.

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