Contrechamp

La mise à sac du droit au logement

La question du logement mérite qu’on s’y arrête, car curieusement, le bouleversement décidé par la droite en la matière n’a guère provoqué de débat public, malgré son caractère extrémiste, rompant avec la politique plus modérée suivie jusqu’ici par l’Entente sur le plan cantonal.
La majorité de la Constituante a d’abord voté l’abrogation du droit au logement, sous le prétexte que ce droit, accepté par les électeurs suite à une initiative populaire, n’avait pas résolu la crise du logement. Cette motivation est admirable: puisque l’Etat et l’économie privée se sont montrés incapables de satisfaire un des droits sociaux les plus essentiels, celui d’avoir un toit, supprimons ce droit et le problème sera réglé! La majorité a trouvé la recette miracle pour assurer le respect intégral de l’ensemble des droits fondamentaux: chaque fois qu’un de ces droits n’est pas respecté, il suffit de le supprimer et le tour est joué. La droite ne s’est pas arrêtée là. Elle a aussi dénaturé les principes de la constitution actuelle (art. 10A) qui visent à concrétiser le droit au logement, pour les remplacer par un brouet clair, où tout n’est pas à jeter, mais duquel il résulte essentiellement qu’il faut faciliter la vie des propriétaires et des promoteurs.

Mais surtout, in cauda venenum, la majorité a prévu que lorsque le taux de vacance dans le canton est inférieur à 1%, les zones de développement sont soumises aux règles des zones ordinaires (art. 169 let. e de l’avant-projet de constitution). Si l’on sait que ce taux est depuis dix ans en dessous de cette limite et se situait en juin 2010 à 0,23%, autant dire que les zones de développement seront durablement supprimées.

Or, il faut savoir que la zone de développement est le seul moyen dont dispose l’Etat pour imposer la construction d’une certaine proportion de logements correspondant aux besoins prépondérants de la population. C’est aussi le seul moyen dont il dispose pour tenter de freiner la spéculation en fixant un prix de vente maximum du terrain, au-delà duquel il n’autorise pas un projet de construction. Si les terrains actuellement en zone de développement sont soumis aux règles des zones ordinaires, l’Etat sera obligé d’autoriser tout projet de construction conforme aux normes de police applicables, quel que soit le type et le prix des locaux construits et quel que soit le prix du sol. Dans ces conditions, plus aucun logement à destination des classes modestes et moyennes ne sera construit. Seuls seront offerts des bureaux et des logements de luxe à vendre, l’Etat n’ayant plus aucun moyen juridique de s’y opposer. Même si les collectivités publiques décident de construire elles-mêmes – ce qui n’est manifestement pas le programme de la droite –, elles ne le pourront pas: en effet, le prix des terrains, libéré de tout contrôle, explosera et les collectivités ne seront plus en mesure de les acquérir, ce d’autant plus qu’elles perdront le droit de préemption qui est lié à la zone de développement.

L’augmentation massive des prix des terrains, ainsi que l’arrêt total de la construction de nouveaux logements sociaux auront en outre pour conséquence inévitable une pression à la hausse pour l’ensemble des loyers genevois. Tous les grands projets de logement en cours (Les Vergers à Meyrin, communaux d’Ambilly, Praille-Acacias-Vernets) seront condamnés, les propriétaires ayant alors le droit, selon les règles des zones ordinaires, de réaliser des opérations beaucoup plus lucratives.
Lorsque l’ASLOCA (association de défense des locataires) a lancé son initiative populaire, il y a trois semaines, la presse a parlé d’une rupture de l’accord historique sur le logement. Or, cette rupture, c’est bien l’Entente, le Mouvement citoyens genevois (MCG) et l’Union démocratique du centre (UDC) qui l’ont consacrée en décidant, le 21 octobre déjà, la suppression de la zone de développement.
Les dispositions sur le logement de l’avant-projet de constitution représentent ainsi la fin de toute politique sociale en la matière et un feu vert à la spéculation immobilière. On doit reconnaître ici à la majorité une certaine cohérence: après avoir supprimé le droit au logement, elle en tire les conséquences en supprimant l’instrument juridique principal de sa réalisation.
La population doit se faire entendre. A ce stade, les citoyens ont deux importantes occasions de s’exprimer. D’abord à travers la consultation qui vient d’être lancée. La parole est offerte à tous, elle doit être prise. Les constituants doivent sentir la température de la population. La deuxième occasion de débat, ce sont les élections municipales de ce printemps. Il sera intéressant de voir comment les partis de l’Entente, le MCG et l’UDC expliqueront aux électeurs des communes qui possèdent de vastes zones de développement pourquoi ils veulent désormais réserver celles-ci aux bureaux et aux logements de luxe.
Après cette double expression populaire, il est possible que le débat constitutionnel sur le logement reparte sur des bases plus réalistes.

Le cas du logement illustre parfaitement les difficultés qui attendent les constituants, difficultés qu’il est inutile et dangereux de nier. Les groupes progressistes de la Constituante ont rempli loyalement leur mission, conformément à leur engagement solennel. Ils le feront jusqu’au bout. Mais, soyons clair, la minorité de la Constituante n’acceptera pas un projet consacrant un recul démocratique, social ou écologique par rapport au texte actuel. La balle est donc dans le camp de la majorité. Soit elle persiste à vouloir faire passer en force un projet rétrograde, et dans ce cas elle portera seule la responsabilité de l’échec programmé l’exercice. Soit elle revient sur une ligne plus constructive, accepte d’entendre les revendications de la minorité et recherche les voies d’un compromis qui bâtit pour l’avenir. Quelques signes ont été émis dans ce sens, mais ils demandent confirmation. Si celle-ci vient, et le plus tôt sera le mieux, on peut espérer que l’assemblée débattra à l’automne d’un projet profondément remanié susceptible de recueillir une large majorité. T. T.

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