Contrechamp

Documentation et revitalisation linguistique

Pour pallier l’extinction massive des langues du monde, une petite communauté de linguistes se consacre aujourd’hui à la documentation des langues en danger. Le travail de documentation repose sur la création de bases de données, faites d’enregistrements audio et vidéo de conversations ou de monologues, mythes, épopées et autres types de textes, aussi bien récités que chantés. Les données recueillies sont ensuite transcrites et servent de base à l’établissement de listes de mots, dictionnaires, grammaires pour spécialistes et manuels scolaires pour apprenants, sous forme électronique ou papier.
Après ou, idéalement, en même temps que la phase de documentation se déroule le programme de revitalisation et préservation de la langue en danger. A ce moment, le linguiste dépend fortement de la communauté linguistique qu’il documente, en particulier de sa volonté de maintenir vivante une langue que le groupe élargi dans lequel elle vit considère comme inférieure, voire inutile par rapport à la langue dominante (mandarin, espagnol, anglais, bengali, hindi, portugais, russe, japonais – pour ne nommer que les huit langues les plus parlées au monde). Les efforts du linguiste échouent souvent à ce moment, surtout lorsque viennent s’ajouter manques de volonté politique et d’aide financière. La langue moribonde s’éteint alors – dans le meilleur des cas avec quelques résidus plus ou moins reconnaissables au sein de la langue qui la supplante – sans succès de revitalisation.

D’autres types de «sauvetage» linguistique existent. Une langue en danger d’extinction peut être sauvée de l’oubli par des personnes (linguistes ou non) qui décident de l’apprendre, souvent par amour et au prix de nombreuses difficultés, dans le but de la préserver et de la transmettre à leur tour avant qu’elle ne s’éteigne. C’est ainsi que Peter Hill, historien américain blanc originaire de Philadelphie, après avoir visité le Dakota du Sud et être littéralement tombé amoureux du paysage, s’installe dans la réserve indienne de Pine Ridge, où il dévoue ses heures libres à l’apprentissage («obsessionnel») de la langue lakota, dont il ne reste que quelques précieux locuteurs natifs encore capables de la parler couramment. Aujourd’hui, grâce à son acharnement (qui a duré sept ans), Peter Hill est passé de deux mots (tipi et hau, terme réservé aux hommes, qui signifie «bonjour» et «oui») à instructeur du lakota, qu’il transmet aux étudiants de la Red Cloud Indian School et, en même temps que l’anglais, à son enfant qui vient de naître. Car le destin d’une langue est étroitement lié à sa transmission intergénérationnelle…

Des efforts de documentation, revitalisation et préservation des langues en danger, il en faut encore et beaucoup plus, de la part de linguistes, d’enseignants, de parents et d’activistes de tous bords. Car nous sommes en train de perdre une clé fondamentale qui nous lie, en tant qu’être humain, avec notre passé aussi bien qu’avec notre futur: la survie de notre espèce dépend peut être de la diversité linguistique tout autant que biologique. AMDC

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