Édito

Indépendance morale

Indépendance morale
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Corrida

Qu’on soit antispéciste convaincu – opposé à la hiérarchisation des espèces – ou simple ami des animaux, difficile de ne pas se réjouir de la nouvelle: hier, les députés de Catalogne ont aboli la corrida sur leurs terres à une majorité de 68 voix contre 55. Si les arrière-pensées politiques ont pesé dans ce vote, remporté grâce aux voix des nationalistes, le progrès humain est réel. Les Fondations Brigitte Bardot et Franz Weber ainsi que plusieurs associations européennes œuvrant pour l’interdiction de la corrida ont exprimé leur joie à l’annonce du résultat. Lequel pourrait faire tache d’huile dans les bastions de la corrida (Espagne, Portugal, Languedoc), où la discipline subit la désaffection croissante du public. La Catalogne, où les joutes taurines étaient tombées en désuétude, se paie à moindre frais un joli coup de pub et de provoc.

L’industrie taurine ne s’y trompe pas, qui s’empresse de réduire la décision à un acte de défiance vis-à-vis du pouvoir castillan. Auquel cas l’ironie est déjà belle de voir un «régionalisme» infliger une leçon à l’Etat central, défenseur d’une tradition barbare. Dans un mouvement de panique, Madrid envisage de faire reconnaître la corrida «d’intérêt national».

Qu’importent les luttes intestines espagnoles, la nouvelle doit être savourée à sa juste valeur. Car si, comme l’affirma Gandhi, «on reconnaît le degré de civilisation d’un peuple à la manière dont il traite ses animaux», la corrida est bien la honte de l’Europe. Sous ses oripeaux prétendument culturels, elle n’y a pas sa place au XXIe siècle.

D’autant que toutes les activités taurines ne sont pas en cause – encore que la Catalogne devrait s’attaquer, par cohérence, au correbous, cette course où les taureaux ont les cornes en feu, pratiquée dans le sud de la région. La plupart des associations, tel le CRAC français (Comité radicalement anti-corrida, dont le comité d’honneur comprend le chanteur Renaud, le philosophe Michel Onfray et Mgr Jacques Gaillot), condamnent certes moralement l’utilisation des animaux – êtres sensibles – à des fins de divertissement. Mais elles se bornent toutefois à réclamer l’abolition des actes de cruauté et les sévices graves.

Qu’est-ce qui s’oppose, dès lors, à une interdiction générale? C’est toute une filière économique qui se crispe sur ses acquis, car outre les bénéfices de l’exploitation commerciale de la corrida par ses organisateurs, les éleveurs de taureaux de combat touchent des subsides de l’Union européenne au titre de la politique agricole commune (PAC).

Sans parler du soutien des collectivités locales aux écoles de tauromachie et le sponsoring d’entreprises qui renfloue ce triste spectacle, prisé d’un nombre heureusement insuffisant de personnes pour demeurer viable – cela, le milieu taurin l’admet volontiers à l’heure de réclamer des sous.

Historique, le vote catalan l’est donc à plus d’un titre: moral, et politique, non pour des motifs indépendantistes dont la portée est anecdotique, mais parce que les lobbies qui travaillent à élargir l’implantation territoriale de la corrida se voient sérieusement contrariés.

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