Contrechamp

LES RAISONS DE LA COLÈRE

THÉORIE POLITIQUE – Une «passion politique» – la colère – est au centre d’un colloque international à l’Université de Lausanne, du 23 au 25 avril. Partant de l’idée que la théorie s’élabore dans la réflexion collective, il s’agira de comprendre comment transformer ses émotions en résistance et en création politique.

Qui d’entre nous ne s’est pas énervé à l’annonce des montants des bonus des traders? Qui n’a pas senti monter sa colère en voyant le résultat du vote sur les minarets? Qui dans sa vie quotidienne, dans son travail, ne s’est pas senti bouillir devant une injustice flagrante?
Si les occasions de se mettre en colère ne manquent pas, les manières de la vivre sont multiples. Elle peut pousser tant à l’autodestruction qu’à l’initiative créatrice, déboucher tant sur le repli que sur le dialogue. Anthropologues, philosophes, juristes, sociologues mais aussi artistes, militant-e-s et citoyen-ne-s de tous pays se confronteront à ces thèmes et à leurs répercussions politiques en termes de soumission ou de résistance.

Ces interrogations ayant été abordées par une série d’auteurs contemporains, les oeuvres de ces derniers seront autant de points de repère quant à la réflexion proposée ici. En ce sens seront convoquées les pensées d’Hannah Arendt, de Cornélius Castoriadis, de Rada Ivekovic, de Colette Guillaumin, d’Abdelmalek Sayad et de Nicolas Busch, qui ont pour point commun de véhiculer des préoccupations quant à l’humain et à son émancipation. Le point d’appui fourni par ces penseurs sera opportunément enrichi par l’apport d’autres sphères, par exemple celles de la création artistique, des luttes sociales et de témoignages d’expériences individuelles.

Une des idées importantes sur lesquelles se fonde le colloque est de d’affirmer que chacun-e peut faire de la philosophie et réfléchir en termes de théorie politique sur la base de ses expériences personnelles, de ses pratiques. Alors qu’elle a un statut de service public, l’université apparaît généralement comme détentrice officielle du monopole de la théorie et de l’abstraction avec des spécialistes patentés. Il s’agit donc de se poser la question de savoir comment le commun des mortels peut se réapproprier les outils de pensée qui lui permettront de mieux comprendre le réel, comment nous pouvons essayer de «penser ce que nous faisons», selon le mot d’Hannah Arendt.

Cette volonté de démocratiser la connaissance et de secouer les théoriciens trop souvent perchés dans leur tour d’ivoire académique se concrétise aussi dans la volonté affichée d’interdisciplinarité, qui est illustrée par la diversité des intervenants: s’y côtoieront notamment la militante des droits humains Afra Weidmann; Jacques Bouveresse, professeur au Collège de France; l’exilé chinois Cai Chongguo, paysan ouvrier philosophe; Christophe Tafelmacher, avocat lausannois et militant du droit d’asile; le travailleur social grec, Nicos Iliopoulos; la journaliste Diane Gillard; la psychologue Muriel Gilbert; le physicien Libero Zuppiroli; le juriste haïtien Patrick Camille; l’historien de la colonisation Jean Peutêtre Mpele; le médecin parlementaire malien Omar Mariko; la politologue italienne Maria Donzelli; la sociologue de Trinidad Marion O’Callagan; l’acteur et metteur en scène José Lillo; le musicien Marc Berman; la conseillère d’Etat vaudoise Anne-Catherine Lyon.

Autre manière de permettre à un large public de participer activement: un atelier de philosophie orale pour donner une voix aux personnes qui ont l’habitude de parler plutôt que d’écrire. Cette insistance sur la parole doit aussi permettre de rompre la suprématie du texte scientifique et de donner à voir une théorie politique incarnée.

Sous l’angle de sa structure, le colloque alternera réunions plénières et séances d’atelier. Les premières devront permettre de susciter réflexions et débats autour des contributions de divers conférenciers. Il s’agira, au sein des secondes, de créer les conditions d’un dialogue sur des thèmes aussi variés que la transformation du pouvoir et de la guerre, les rapports sociaux de sexe, les questions du droit d’asile ou de la politique du travail, ainsi que de les articuler à la question de la résistance face au pouvoir dans le travail et la vie sociale.

Des soirées théâtrales et musicales prendront également place, qui offriront un lieu supplémentaire – bien que méconnu comme tel – d’élaboration théorique, en pleine adéquation avec l’esprit général d’ouverture à la Cité présidant à cet événement (lire ci-dessous).

Cela se traduit notamment par les divers soutiens et partenaires de la manifestation, allant du Fond national de la recherche scientifique, de l’Institut d’Etudes Politiques Internationales (IEPI) de l’Université de Lausanne, et de la HES-SO à des organisations issues de la société civile, telle la Coordination Asile Vaud, l’Espace Femme International, l’association Transeuropéennes, Paris, la libraire Basta, la Galerie Humus ou le syndicat Uniterre.

A noter également, l’attention apportée à réaliser chacun des aspects les plus pratiques du colloque en cohérence avec les principes professés: ainsi, un système d’hébergement gratuit a par exemple été mis en place afin de loger les participant-e-s venu-e-s de loin. De même, tant le collectif d’organisation que les différents artistes et musiciens participent de manière bénévole. Les horaires ont quant à eux été pensés de manière à faciliter la participation du plus grand nombre (voir le programme).

Lors de la plénière du dimanche matin sera débattue une éventuelle suite à trouver pour un lieu, un réseau de réflexion critique à la fois local et international.

Comprendre sa colère; démocratiser le savoir; faire dialoguer les expériences; joindre l’acte à la parole: autant de défis que ce colloque original vous invite à relever! I

* Etudiants en Science politique à l’Unil.

Opinions Contrechamp Gabriel Sidler

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