Contrechamp

VOUS AVEZ DIT INTÉGRATION?

MIGRATIONS – La politique migratoire suisse – «de la carotte et du bâton» – revient à une assimilation déguisée des populations d’origine étrangère, selon Maurice Gardiol, président du centre d’accueil et de formation pour femmes migrantes Camarada, à Genève.

Aujourd’hui, dans le domaine de la migration, le climat est à nouveau difficile suite aux nouvelles législations mises en place avec le soutien d’une opinion publique apeurée par le discours xénophobe ambiant. Les associations oeuvrant avec les populations migrantes ont donc la lourde responsabilité de faire entendre un autre son de cloche, sans être accusées de faire de l’angélisme. Elles connaissent comme tout le monde les abus et les violences de quelques-uns et les dénoncent fermement, ne serait-ce que parce que cela porte préjudice en premier lieu à leurs compatriotes. Mais elles savent surtout que la grande majorité des personnes migrantes méritent respect, considération et que rien ne justifie les brimades, les discriminations et les exclusions qu’entraînent non seulement la législation, mais encore les pratiques administratives qui lui sont liées.
Dans la pratique, nous sommes régulièrement confrontés aux risques d’instrumentalisation de l’intégration par les Etats pour défendre leur politique migratoire et une conception «assimilatrice» de la population étrangère. A ce sujet, il convient de rappeler le rattachement en l’an 2000 de la Commission fédérale des étrangers (CFE) au Département de justice et police. Dès le 1er janvier 2008, cette commission est devenue la «Commission pour les questions de migration» et remplace à la fois l’ancienne CFE et la Commission des réfugiés. Une manière de faire des amalgames qui nient des causes fort diverses de migration, de les situer dans un cadre purement judiciaire et policier. Cette soumission a pour conséquence de réduire à néant bon nombre de travaux intéressants que lesdites commissions ont pu mener par le passé et de les étouffer par des pratiques administratives qui suivent une toute autre logique.

Un premier exemple permet d’illustrer notre inquiétude. A Camarada, nous avons mis en évidence que pour les populations avec lesquelles nous travaillons, le processus d’intégration doit pouvoir s’appuyer sur des approches diversifiées, aptes à mettre en valeur des repères socioculturels des communautés d’origine et de la société d’accueil. Seule une telle prise en compte d’un contexte global permet de développer les motivations et les conditions d’apprentissage des outils de communication indispensables. Vouloir réduire les projets d’intégration à des cours de langue est donc une aberration. Pourtant c’est quasiment la seule priorité que l’Office fédéral des migrations veut maintenant reconnaître, qui plus est avec des contraintes ne permettant pas aux associations travaillant sur le terrain et aux populations concernées de développer des formations faisant appel à leurs compétences acquises pendant de nombreuses années et à leur génie propre.

Par ailleurs, dans le débat actuel, bien des gens de la politique ou de l’administration évoquent la possibilité d’établir des «contrats d’intégration». Pour nous, il s’agit assurément d’une fausse route. Chaque année, nous devons refuser à Camarada des dizaines des femmes qui, volontairement, désireraient bénéficier de nos offres. Pourquoi donc vouloir mettre en place une forme de contrainte, alors que nous ne disposons pas de moyens suffisant pour répondre aux demandes actuelles? Si c’est pour contraindre des personnes à s’inscrire dans des écoles qui ne pourront pas vraiment les accompagner de manière spécifique dans leur processus d’intégration, nous allons perdre du temps et de l’argent.

Mais, surtout, cette politique de la carotte et du bâton induit une forme de motivation qui ne nous aidera pas vraiment à promouvoir une véritable intégration.

En conséquence il conviendrait de mieux reconnaître et de mieux mettre en valeur le travail associatif en la matière. Il faut organiser sur le terrain des rencontres des politiques et des fonctionnaires avec les acteurs et les usagers des projets. Cela devrait leur permettre de mieux comprendre les enjeux, de connaître et de reconnaître le travail réalisé, de renoncer à des solutions trop unilatérales ou trop simplificatrices.

Le terme d’«intégration» est rarement défini dans les discours politiques et dans les directives administratives. Il convient de redire qu’une véritable intégration est un processus et non une simple acquisition de connaissances qui pourrait être validée par des certificats ou des diplômes. C’est cela qui est exprimé dans un rapport de 1999 cosigné par le Centre de Contact Suisse-Immigrés et Mondial-Contact: «Nous entendons par ‘intégration’ un processus d’apprentissage permanent de la société genevoise et de son fonctionnement qui associe et engage les ‘Etrangers’ et les ‘Suisses’ à participer à un présent et un avenir commun. Il permet aux premiers de contribuer, de construire et d’utiliser des outils de participation à la collectivité dans laquelle ils sont établis, sans pour autant renier leurs origines et aux seconds de comprendre, de reconnaître et d’utiliser les ressources issues de la diversité. Pour les uns et les autres, s’intégrer, c’est pouvoir identifier progressivement sa place dans la Cité, faire valoir ses compétences, ses acquis, ses expériences et ses ressources.»

Il faut donc constamment rappeler que l’intégration n’est pas à sens unique. C’est pourquoi, dans la mesure où le choix des termes a une valeur au moins symbolique, je regrette que nous ayons dans les cantons des «délégués à l’intégration des étrangers» et non des «Bureaux pour promouvoir l’intégration des Suisses et des immigrés». L’intégration est vouée à l’échec si nous voulons faire «pour» les étrangers ou «pour» les femmes. Elle aura quelques chances si nous faisons «avec». Cela doit rester une priorité dans l’élaboration de notre propre action au sein de Camarada et dans notre participation à la réflexion avec les autres partenaires.

Ce «faire avec» devrait aussi caractériser les relations entre l’Etat et les associations. Aujourd’hui il me semble constater une méfiance de l’Etat et des administrations publiques envers le travail associatif. Depuis quelque temps, nous assistons à une inflation d’évaluations et de contrôles qui détournent l’énergie et les modestes moyens de ces associations de leurs actions prioritaires. Les subventionnements sont utilisés pour guider leurs choix à partir de concepts d’efficience et de rentabilité qui risquent fort de les priver de la créativité et de la souplesse nécessaire pour pouvoir s’adapter rapidement aux problématiques nouvelles. Des critères sont établis par des «experts» qui sont très éloignés des réalités rencontrées sur le terrain. Des indicateurs quantitatifs et qualitatifs nécessitent une paperasserie disproportionnée et dont l’utilité est vraiment discutable tant l’approche est éloignée de nos visions et de nos pratiques éprouvées.

Je suis le premier à trouver normal que les partenaires qui soutiennent le travail des associations puissent avoir l’assurance d’une bonne utilisation des fonds mis à disposition et que certaines améliorations peuvent être apportées dans ce domaine. A condition de garder la mesure et de faire ce qui est nécessaire dans les contacts pour maintenir une relation de confiance et de vrai partenariat. Dans notre dialogue actuel, ce message semble être compris par le Bureau genevois de l’intégration (BIE). Nous osons espérer que les faits confirmeront cette impression et qu’avec le BIE nous pourrons faire alliance pour mieux faire connaître les problématiques actuelles, aider les politiques et les administrations à faire de bon choix plutôt que d’enfermer les associations dans des carcans qui finiront par décourager les bonnes volontés et le bénévolat. I

* Discours prononcé le 16 mars 2008, à la Comédie de Genève, à l’occasion d’une table ronde sur l’intégration organisée dans le cadre du 25e anniversaire de Camarada.

Opinions Contrechamp Maurice Gardiol

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