Le 14 octobre dernier, la Cour européenne des droits de l’homme (CrEDH) a dit, par six voix contre une, que la Grèce avait violé le droit à un procès équitable, garanti par l’article 6§1 de la Convention, pour ne pas avoir admis la récusation de la présidente de la Cour de cassation qui menait une enquête disciplinaire contre une procureure1>Arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme du 14 octobre 2025 dans la cause Giorgia Tsatani c. Grèce (3ème section)..
La requérante était, à l’époque des faits, procureure près la cour d’appel d’Athènes. Au mois de mars 2016, la présidente de la Cour de cassation a informé la requérante qu’elle avait ouvert une enquête disciplinaire préliminaire à son encontre après que le ministre de la Justice et l’avocat général de Chypre avaient exprimé leur inquiétude au sujet de la décision de la requérante de clore une enquête pénale, médiatisée, dans une affaire de fraude impliquant des ressortissants grecs et chypriotes. A la fin du mois de mars, le vice-ministre de la Justice évoqua devant le Parlement la procédure disciplinaire diligentée contre la requérante. Cette dernière requit la récusation de la présidente de la Cour de cassation qui, par sa fonction, avait occupé la fonction de premier ministre par intérim quelques mois auparavant. L’enquête préliminaire fut confiée à une vice-présidente de la Cour de cassation et la présidente de la Cour publia un communiqué de presse officiel dans lequel elle affirmait qu’elle luttait contre de grands intérêts interdépendants, mentionnant le nom de la requérante et soutenant que la requête de récusation introduite contre elle était infondée et constitutive d’un abus de procédure.
Le 5 mai 2016, la vice-présidente clôtura l’enquête préliminaire et rejeta la demande de récusation, recommandant que la présidente engage une action disciplinaire contre la requérante. Le 24 juin 2016, la présidente engagea alors la procédure devant le conseil disciplinaire de la Cour de cassation. Par décision du 10 octobre 2016, cette instance a conclu que la requérante avait commis des actes constitutifs d’une négligence grave, qui avaient porté atteinte au prestige de la magistrature, estimant que la requérante avait mis fin à des enquêtes pénales qui relevaient de la compétence du procureur anticorruption et avait violé un accord entre les autorités grecques et chypriotes selon lequel certains aspects de l’affaire auraient dû faire l’objet d’une enquête par les autorités chypriotes. Le conseil disciplinaire condamna la requérante à soixante jours de privation de salaire. Il rejeta aussi la requête de récusation de la présidente de la Cour. Sur appel de la requérante, le conseil disciplinaire supérieur confirma ces décisions.
La CrEDH réaffirme que la Convention exige que les tribunaux soient indépendants et impartiaux, l’impartialité désignant l’absence de préjugés ou de partialité. Cette exigence s’apprécie selon un critère subjectif qui tient compte de la conviction personnelle et du comportement d’un juge donné et un critère objectif, en vérifiant si le tribunal lui-même, notamment sa composition, offre des garanties suffisantes pour exclure tout doute légitime quant à son impartialité. Se référant à une jurisprudence de la Cour de justice de l’Union européenne, la CrEDH observe qu’un régime disciplinaire applicable aux juges doit offrir les garanties nécessaires afin d’éviter tout risque qu’il soit utilisé comme un système de contrôle politique du contenu des décisions judiciaires. Il est à cet égard essentiel que les personnes investies du pouvoir de mener des enquêtes disciplinaires et d’engager des poursuites disciplinaires à l’encontre de membres du pouvoir judiciaire agissent de manière objective et impartiale. En publiant notamment un communiqué de presse officiel, alors que la procédure disciplinaire est secrète, la présidente de la Cour de cassation n’avait pas respecté cette obligation d’impartialité, d’autant qu’elle avait occupé quelques mois auparavant les fonctions de premier ministre par intérim et que sa fonction de présidente de la Cour de cassation lui conférait la faculté d’exercer la supervision et le contrôle généraux de tous les juges.
Ces dernières années, les réorganisations des autorités judiciaires en Suisse ont souvent conduit à la création de conseils supérieurs de la magistrature. Cette affaire met en lumière la délicate question de la composition de ces conseils et des pouvoirs conférés aux enquêteurs en cas de procédure disciplinaire.
Pierre-Yves Bosshard, avocat au Barreau de Genève, membre du comité de l’Association des juristes progressistes.
Notes