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L’audition de l’enfant doit être la règle

Chronique des droits humains

Le 9 septembre, la Cour européenne des droits de l’homme a dit, par cinq voix contre deux, que la Grèce n’avait pas respecté le droit au respect de la vie privée, garanti par l’article 8 de la Convention, pour ne pas avoir entendu d’office deux enfants dans une affaire d’enlèvement international d’enfants1> Arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme du 9 septembre 2025 dans la cause M. P. et consorts c. Grèce (3e section)..

Née en 1981, la requérante fit connaissance en 2014 de son futur mari, un ressortissant grec et américain, sur Facebook. Ils se rencontrèrent en 2015 sur l’île de Rhodes, où elle vivait, à l’occasion de vacances du futur époux. Puis, l’épouse se rendit aux Etats-Unis où elle commença à travailler dans une crèche à Houston. Ils se marièrent en 2016, eurent un premier enfant, puis une fille née en 2018 en Floride, où la famille avait déménagé. Entre 2018 et 2020, les époux connurent des épisodes conflictuels. Au mois d’octobre 2020, la mère et les enfants se rendirent à Rhodes avec le consentement du père. Le 5 novembre 2020, la compagnie aérienne informa la mère que le vol du retour avait été modifié en raison de la pandémie de Covid-19. La mère indiqua alors à son mari qu’elle prolongerait son séjour à Rhodes jusqu’au mois de mai 2021. Elle s’installa chez ses parents, fit inscrire les enfants à l’école et les affilia à la sécurité sociale grecque. Puis, au mois de mars 2021, elle commença à travailler sur l’île en qualité de psychologue.

Le 5 août 2021, le père saisit les juridictions grecques aux fins d’obtenir le retour des enfants aux Etats-Unis. Par jugement du 12 mai 2022, le Tribunal de première instance de Rhodes jugea que la rétention des enfants en Grèce était illicite au sens de l’article 3 de la Convention de la Haye sur les aspects civils de l’enlèvement international d’enfants2> RS 0.211.230.02 entrée en vigueur pour la Suisse depuis le 1er janvier 1984., mais que le retour des enfants aux Etats-Unis les exposeraient à un danger psychique et les placeraient dans une situation intolérable. En effet, selon ce premier juge, ils avaient été scolarisés à Rhodes, s’y étaient intégrés, y avaient tissé des liens avec leurs pairs et y bénéficiaient du soutien moral et financier de la mère et de leurs proches qui les entouraient d’affection et d’amour. En outre, le père avait aux Etats-Unis un emploi prenant et n’y disposait pas de soutien familial, amical et social pour la prise en charge quotidienne des enfants. Le père forma appel contre ce jugement et, le 29 décembre 2022, la Cour d’appel du Dodécanèse ordonna le retour des enfants aux Etats-Unis auprès de leur père, jugeant que l’intégration des enfants dans leur nouveau milieu en Grèce n’était pas suffisante pour que leur retour dans leur lieu de résidence habituelle constituât une épreuve ou une situation intolérable. Cet arrêt fut confirmé en cassation.

Se référant en particulier à un arrêt de principe rendu dans une cause concernant la Suisse3>Arrêt de la Cour européenne des droits de l’homme du 6 juillet 2010 dans la cause Isabelle Neulinger et Noam Shuruk c. Suisse (Grande Chambre)., la Cour rappelle que les obligations de l’article 8 de la Convention doivent s’interpréter à la lumière des exigences imposées par la Convention de la Haye et à celles de la Convention relative aux droits de l’enfant. Le point décisif consiste à savoir si un juste équilibre a été ménagé entre les intérêts concurrents en jeu – ceux de l’enfant, ceux des deux parents et ceux de l’ordre public, en tenant compte toutefois de ce que l’intérêt de l’enfant doit constituer la principale considération.

Elle souligne toutefois que la notion de risque grave ne saurait être lue comme incluant l’intégralité des désagréments nécessairement liés à la situation vécue en cas de retour; elle ne vise que les situations qui vont au-delà de ce qu’un enfant peut raisonnablement supporter. Mais la volonté exprimée par un enfant ayant un discernement suffisant est un élément clé à prendre en considération dans toute procédure judiciaire ou administrative le concernant. S’appuyant sur une recommandation toute récente du Comité des ministres aux Etats membres du 28 mai 2025, dont elle tire la conclusion qu’il existe un consensus établi parmi les Etats parties, la Cour pose pour la première fois qu’il existe une obligation d’offrir à l’enfant une possibilité réelle et effective d’exprimer son opinion, soit directement soit autrement, et de l’aider à le faire par différents mécanismes et procédures adaptés aux enfants. Cette obligation s’impose même si une telle demande n’a pas été formulée lors de la procédure nationale.

Il ne fait guère de doute que cette jurisprudence est appelée à être invoquée dans les procédures très délicates menées en application de la Convention de la Haye sur l’enlèvement international des enfants.

Notes[+]

Pierre-Yves Bosshard est Avocat au Barreau de Genève, membre du comité de l’Association des juristes progressistes.

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