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Le Courrier L'essentiel, autrement

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Une vision du passé et du présent sans les rapports de domination

Les écrans au prisme du genre

Quinzième long-métrage de Cédric Klapisch, La Venue de l’avenir est son premier «film à costumes»; c’est aussi un film «choral» qui met en scène un nombre important de personnages, comme dans L’Auberge espagnole (2002), son film le plus connu.

Le scénario est construit sur la confrontation entre aujourd’hui et la fin du XIXe au moment de l’émergence de l’impressionnisme, à travers une histoire de famille. En Normandie, les descendants de la propriétaire d’une maison abandonnée depuis la Seconde Guerre mondiale sont réunis pour décider de la vente de cette batisse pour la construction d’un parking de supermarché. La plupart des descendants ne se connaissent pas et délèguent quatre d’entre eux, trois hommes et une femme, pour visiter la maison et prendre une décision. Abdelkrim (Zinedine Soualem) est un professeur de français à la veille de la retraite; Seb (Abraham Wapler) fait des vidéos; Guy (Vincent Macaigne) est apiculteur; Céline (Julia Piaton) est dans la finance. Ils découvrent une maison pleine de vieilles photos: à partir du portrait d’une jeune femme, on change d’époque: celle où a vécu Adèle (Suzanne Lindon), jeune paysanne de 21 ans, qui, à la mort de sa grand-mère l’ayant élevée, décide de partir pour Paris retrouver sa mère qui l’a abandonnée bébé. Elle laisse son amoureux et rencontre sur le bateau qui remonte la Seine deux jeunes gens, l’un apprenti peintre et l’autre apprenti photographe qu’elle rejoindra après sa découverte traumatisante: sa mère vit et travaille dans une maison close!

Le film alterne habilement les scènes au présent et les scènes au passé, et la jeune Adèle sert de fil rouge pour assister aux débuts de l’impressionnisme, sur un mode pittoresque et gentillet qui est devenu la marque de fabrique de Klapisch. En effet, le problème du monde fictionnel que propose le cinéaste est d’ignorer totalement les rapports de domination, qu’ils soient de genre, de classe ou de «race».

De la même façon que les quatre cousins dans la partie contemporaine font connaissance sans jamais s’affronter –  on ne saura pas d’ailleurs si la maison sera vendue  –, le monde d’Adèle est une série d’images d’Epinal, depuis le bordel confortable où les prostituées en déshabillé accueillent aimablement leurs clients, jusqu’à l’auberge de Montmartre «Le Rat mort» où la patronne distribue généreusement des repas aux artistes sans le sou, en passant par l’histoire d’amour entre Claude Monet et Odette, la mère d’Adèle, où on le voit peindre le port du Havre dans la chambre où il séjourne avec sa maîtresse: tout baigne! On ne comprend pas bien d’ailleurs pourquoi Adèle, qui file le parfait amour avec le gentil Anatole (Paul Kircher), à qui elle sert de modèle en échange de l’apprentissage de la lecture, décide de repartir dans sa Normandie natale. Bien entendu, Adèle, qui arrive à Paris sans le sou et sans autre contact que le bordel où travaille sa mère, ne sera jamais confrontée au moindre désagrément lié à sa position dominée: les deux garçons qui lui font une place dans leur chambre en protégeant sa pudeur par un drap tendu en travers de la pièce (hommage à Capra sans doute) sont d’une délicatesse touchante… et totalement invraisemblable. Et quand Adèle finit par comprendre que son père est sans doute le peintre Claude Monet – après avoir soupçonné le photographe Nadar (excusez du peu!) –,  elle va lui rendre visite à Giverny où il l’accueille gentiment en lui proposant de rester quelques jours pour faire son portrait. Le fait qu’il ait abandonné jadis la mère et l’enfant, et que la mère se soit retrouvée dans un bordel, ne sera bien sûr pas évoqué; il lui dit seulement qu’on peut tomber amoureux plusieurs fois…

Le film égrène un certain nombre de lieux communs sur le Paris de la fin du XIXe, comme autant de clins d’œil aux spectateurs d’aujourd’hui. C’est peu de dire qu’on n’apprend rien de neuf sur cette période. Le film nous en livre une version expurgée de toutes les contradictions de l’époque.

Le sommet du ridicule est atteint avec la scène de l’inauguration de la première exposition des peintres «impressionnistes», suite à leur rejet par le salon officiel (comme on sait, c’est un critique hostile à leur peinture qui les désigna sous ce vocable); Klapisch invente une scène où les quatre cousins se retrouvent avec Calixte (Cécile de France), l’historienne d’art amie d’Abdelkrim invitée à expertiser le tableau qu’ils ont trouvé dans la maison: sur la suggestion de Guy, l’apiculteur babacool, ils prennent une boisson hallucinatoire et se retrouvent dans cette exposition, où Calixte agresse physiquement le dit critique: le grotesque le dispute à l’anachronisme.

Quant à la partie contemporaine, elle se clôt sur une séquence particulièrement embarrassante: le défilé triomphal, filmé par le cousin Seb, d’Abdelkrim, le professeur de français, dans le collège où il a enseigné pendant trente ans et où tous les élèves lui font une haie d’honneur pour célébrer son départ à la retraite. Vu l’état d’abandon dont souffre l’enseignement public en France, la crise de recrutement et le malaise des enseignants, on peut trouver que Klapisch pousse un peu loin le bouchon du feel good movie.

Geneviève Sellier est historienne du cinéma, www.genre-ecran.net

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