Le 4 juin dernier, la Maison-Blanche annonçait que Donald Trump avait signé un décret interdisant l’entrée aux Etats-Unis aux ressortissant·es d’une douzaine de pays, parmi lesquels sept sont africains. Avec effet immédiat. Du coup, depuis le 9 juin, plus aucun visa n’est délivré aux ressortissant·es du Tchad, du Congo-Brazzaville, de la Guinée équatoriale, de l’Erythrée, de la Libye, de la Somalie et du Soudan. Le Burundi, la Sierra Leone et le Togo figurent sur une deuxième liste de «suspension partielle». Une dizaine de jours plus tard, nouveau coup d’éclat: le gouvernement américain laisse entendre qu’il envisage d’imposer des restrictions de visa à 25 pays africains supplémentaires, auxquels il accorde un ultimatum de 60 jours pour se conformer à une série d’exigences sécuritaires afin d’éviter de voir leurs ressortissant·es privé·es de visa pour les Etats-Unis.
Le président américain réagissait à chaud, sans aucune concertation préalable, à l’attaque survenue à Boulder, dans le Colorado, où un Egyptien, entré légalement en 2022, mais dont le visa avait expiré depuis des mois, avait lancé des engins incendiaires sur des participants à une marche en soutien aux otages israéliens, en criant «Free Palestine».
Dans la ligne de mire de ces restrictions: la lutte contre le «terrorisme», l’incapacité présumée de certains gouvernements à délivrer des documents d’identité fiables, un taux élevé de dépassement de visas parmi les ressortissant·es de ces pays. Fait piquant: l’Egypte, dont est originaire le «terroriste» de Boulder, échappe à ce «travel ban».
Sur le continent africain, cette mesure a été jugée injuste et stigmatisante
Sur le continent africain, cette mesure a été jugée injuste et stigmatisante, perçue par nombre de capitales africaines comme une atteinte à leur souveraineté et à leur honneur national. Face à ce qu’il qualifie de décision unilatérale et vexatoire, le président tchadien Mahamat Idriss Déby Itno a été le premier à réagir, en annonçant la suspension de l’octroi de visas aux citoyens américains. Au nom du principe de réciprocité et de la dignité nationale. Aux yeux de N’Djamena, les autorités américaines font fi des sacrifices et des efforts consentis pour précisément lutter contre le «terrorisme» dans la région.
Tandis qu’au Congo-Brazzaville, l’incompréhension domine. Lors d’une conférence de presse organisée à Brazzaville, le porte-parole du gouvernement a déclaré que «le Congo n’est pas un pays terrorise, n’abrite aucun terroriste, n’est pas connu pour avoir une vocation terroriste», espérant des autorités américaines qu’elles «lèveront ce malentendu».
Dans un communiqué, la Commission de l’Union africaine a appelé Washington à adopter «une approche plus consultative avec les pays concernés», tout en relevant l’impact négatif qu’auront de telles mesures sur les échanges commerciaux, et académiques, ainsi que sur la mobilité professionnelle. Quant à la branche américaine d’Amnesty International, elle a dénoncé un décret «discriminatoire, raciste et absolument cruel».
A l’instar des annonces américaines concernant les droits de douane, la menace d’une interdiction de se rendre aux Etats-Unis qui plane sur les ressortissants de 36 pays africains engendre beaucoup d’incertitude et de nombreuses difficultés. Pour les étudiant·es engagé·es dans des processus longs et coûteux dans le but d’obtenir l’autorisation de poursuivre leur cursus dans une université américaine, le coup est particulièrement rude. Tout comme pour les entrepreneurs ayant tissé des liens d’affaires avec certains secteurs de pointe aux Etats-Unis, qui se voient freinés dans leur élan. Les jeunes professionnel·les et les étudiant·es étranger·ères font d’ailleurs l’objet d’une surveillance accrue depuis le début du second mandat de l’administration Trump. L’initiative «Catch and Revoke», par exemple, lancée en mars 2025, recourt à l’intelligence artificielle pour analyser leurs publications sur les réseaux sociaux. Si celles-ci sont jugées favorables à des organisations qualifiées de «terroristes», cela peut entraîner pour leur·e auteur·e la révocation ou le refus de l’octroi d’un visa. Brave New World.