Né en 1931 à Lviv (alors située en Pologne) où son père était Consul général de Roumanie, Dan Gallin a traversé en presque un siècle de vie bien des vicissitudes de la politique mondiale. Alors que son père est en poste à Berlin à partir de 1940, il est envoyé en 1943 par ses parents en Suisse, où il terminera sa scolarité au collège du Rosey, à Rolle. En 1949, grâce à une bourse, Dan Gallin part pour les Etats-Unis. C’est là qu’il se rapproche de mouvements militants, en particulier l’Independent Socialist League, courant dissident du trotskysme aux Etats-Unis. Ses activités politiques le contraignent cependant à quitter le territoire américain en 1953, et il revient en Suisse. Après des études de sociologie à l’université de Genève, c’est en 1960 qu’il commence sa carrière dans les organisations syndicales internationales, en l’occurrence à l’Union internationale des travailleurs de l’alimentation (UITA), dont il fut le secrétaire général de 1968 à 1997. A ce poste, il transformera complètement l’institution pour en faire une véritable organisation de lutte. Il y mènera des combats importants, notamment une campagne internationale de boycott de Coca-Cola au début des années 1980, pour protester contre une série d’assassinats de syndicalistes actifs dans une usine au Guatemala.
Féroce adversaire du stalinisme, critique des différents courants se réclamant du trotskysme, Dan Gallin adhère au Parti socialiste suisse en 1955. S’il n’en intègrera jamais tout à fait les instances, il y sera, dès sa retraite de l’UITA, un animateur important d’un courant de gauche. En 2000, il répond ainsi à l’attaque portée par Christoph Blocher contre le socialisme, publiant un long texte dans Domaine public1> www.domainepublic.ch/index/editiondp/DPS1454-1455/page/1, également encarté dans Le Temps. Il y affirme l’importance du socialisme démocratique pour lutter à la fois contre les différents courants autoritaires – du stalinisme des années 1930 au blairisme des années 1990 – et contre la droite. Plus tard il sera actif au sein de Denknetz2> www.denknetz.ch/, le réseau de réflexion créé en 2004 pour servir de think tank à la gauche suisse. Cet engagement le conduit également à rejoindre le comité de Pages de gauche dès la création du journal en 2002, auquel il contribuera fréquemment, en particulier sur des questions historiques et internationales. Parallèlement, dès son départ de l’UITA en 1997, Dan Gallin fonde le Global Labour Institute à Genève, qui essaimera par la suite avec des bureaux à Manchester, New York, Paris et Moscou. Ce réseau syndical international va mettre sur pied de nombreuses rencontres.
Ces dernières années, des problèmes de santé avaient conduit Dan Gallin à ralentir ses activités. Cependant, à l’occasion de ses 90 ans, en 2021, il appelait encore à la solidarité avec les luttes syndicales du moment, à Hong Kong, en Birmanie et au Belarus. L’internationalisme n’était ni un vain mot ni un slogan pour Dan Gallin: c’était le point de départ de tout engagement, syndical comme politique. Si l’on voulait résumer l’héritage qu’il laisse au mouvement ouvrier et syndical, nous mentionnerions deux éléments principaux. Le premier est la certitude qu’un mouvement de défense des travailleur·euses, des opprimé·es, des exploité·es, pour avoir la moindre chance de succès à long terme, doit être démocratique, c’est-à-dire rassembler un nombre aussi important de personnes que possible. Il exécrait le sectarisme, qui prend prétexte de la pureté idéologique pour se réfugier dans des micro-organisations sans lien avec ce qui se passe dans la société, tout comme il dénonçait sans relâche les tendances autoritaires toujours présentes dans les grandes organisations politiques ou syndicales. C’est avec cette double exigence qu’il a toujours œuvré au sein des associations et collectifs dont il faisait partie.
Le second tient à l’importance d’une réflexion et d’une action à long terme. En 2017, il disait lors d’un entretien à Pages de gauche3> Pages de gauche 163 (printemps 2017) que ce qui doit caractériser un·e militant·e de gauche, c’est «la ténacité à long terme». En concluant par: «Quand je suis entré dans le mouvement, jeune socialiste, je regardais derrière, par-dessus mon épaule, où il y avait des géants. Des petits géants comme Shachtman [théoricien marxiste étasunien], des grands géants comme Trotsky. Puis arrive un certain temps où tu regardes par-dessus ton épaule et il n’y a plus personne, tu es seul. Et donc, sachant ce que tu sais, tu dois écrire, tu dois parler, et transmettre tant que tu as la possibilité de le faire.» Des mots qui résonnent fortement aujourd’hui.
Notes