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Viviane Gonik est partie

Femme engagée et infatigable militante, Viviane Gonik, spécialiste de la santé au travail, est décédée le 25 avril, à l’âge de 74 ans. Sa famille et ses proches retracent ses multiples combats, des luttes féministes au soutien aux migrant·es. Un hommage auquel s’associe l’équipe du Courrier, dont Viviane a enrichi les pages Contrechamp de nombreuses analyses liées au monde du travail.
Carnet noir

Femme de cœur, de tête et de courage, Viviane Gonik nous a quitté·es, sereine et déterminée, à 74 ans, le lundi 25 avril, après une lutte de vingt-huit ans contre le cancer.

Fille de juifs polonais apatrides ayant échappé aux nazis, née en Italie, elle a vécu en France, puis en Suisse. Entrée à l’université de Genève en 1966, elle s’est naturellement radicalisée en 1968, rejoignant le GLI (Groupe des luttes internationales) qui regroupait beaucoup d’étudiant·es d’Espagne et d’Amérique latine opposés aux dictatures dans leurs pays respectifs. En 1973, elle rejoint le premier noyau du Mouvement de libération des femmes (MLF). Convaincue de la centralité de la lutte contre le travail ménager, elle était aussi de tous les fronts: pour le droit à l’avortement, contre le viol, pour la création de centres-femmes, pour les droits des détenues et ceux des patient·es psychiatriques. Elle était au cœur des actions qui rendaient ces luttes visibles: bombages, occupations de l’hôpital, de bureaux, occupation du Centre femmes aux Grottes, murage de l’Hôtel de Ville, et bien d’autres batailles. La perte de vitesse des mouvements de contestation ne l’a pas freinée. Elle s’est notamment investie dans la création de l’émission féministe Radio Pleine Lune, à laquelle elle participera une vingtaine d’années.

En parallèle, Viviane a participé aux nouvelles formes de vie en commun, avec le désir de briser la séparation entre vie privée, vie intime et action politique. Le partage de lieux de vie – d’abord mixtes puis entre femmes – et d’espaces à la campagne stimulaient cette réflexion: «le personnel est politique». S’occuper des enfants collectivement en fut une réalisation: partage du temps de travail, des travaux ménagers, de l’éducation des enfants.

La voix de Viviane était porteuse d’histoires éclairées et subversives, pour petit·es et grand·es, de David défiant Goliath. Elle continuera à résonner et raisonner en nous. Pour celle et ceux qui ont eu la chance d’avoir été bercés par elle, «sucrez vos mouchoirs/Quand vous pleurez/Vos larmes du soir/Deviendront des fées». (Brigitte Fontaine)

Un peu par hasard, Viviane s’est retrouvée ergonome – «regarder les gens travailler», comme elle disait – au Centre universitaire d’étude des problèmes d’écologie du travail (ECOTRA) à Genève, puis à l’Institut universitaire romand de santé au travail (IST) à Lausanne. Sur le terrain, y compris la nuit, l’analyse du «travail réel» la passionnait. Il s’agissait souvent du travail des femmes, de leur souffrance au travail, du harcèlement sexuel. Elle travaillait toujours à temps partiel, menant de front ses activités professionnelles et militantes, souvent bien imbriquées.

Arrivée à la retraite, fidèle à son intérêt et à son engagement, Viviane a créé «Metro Boulot Kino», un cinéclub genevois, lieu d’échanges mensuel sur le monde du travail. Soucieuse de la vie des femmes migrantes, elle a été présidente du Centre de contact Suisses-Immigrés durant de nombreuses années.

La réflexion stratégique collective a été pour Viviane une préoccupation constante. Que ce soit à travers le journal L’Insoumise, Radio Pleine Lune, Metro Boulot Kino, ses articles sur le travail dans le Courrier ou les archives du MLF, elle voulait nourrir le débat et le dialogue – aussi avec les nouvelles générations.

Sensible et solidaire, Viviane avait la tendresse pudique. D’une grande intelligence et d’une culture solide, «sans la ramener», mais toujours décidée et claire, elle a rayonné et construit de fortes amitiés partout. Sans parler de l’amour, de la force, des conseils et du soutien qu’elle offrait à nous: son ami, sa fille, ses petits-enfants, ses enfants de cœur et ses ami·es proches. Avant tout courageuse, la mort ne l’a pas éblouie. Elle s’y était préparée discrètement, comme à une chose naturelle. Ses proches se demandent comment faire sans elle. Sans doute en continuant de faire comme si elle était toujours là.

«Elle avait une lumière toute spéciale – celle des guerrières qui n’ont jamais perdu leur tendresse.»

Opinions Agora Collectif Carnet noir

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