Jour après jour, Israël, Palestine, Gaza ont leur place dans les journaux: une actualité que je scrute avec appréhension.
Récemment, un titre inquiétant faisait la couverture de l’un d’eux: «Le projet d’Israël pour Gaza a désormais un nom: un camp de concentration»/«Israël semble vouloir confiner [les habitants de Gaza] dans une zone restreinte et laisser la famine et le désespoir faire le reste [pour qu’ils partent].»1>«Israel’s latest vision for Gaza has a name: Concentration camp», +972 Magazine (site d’information indépendant israélien), 1er avril 2025 (traduit et repris par les-crises.fr). A noter que cette annonce du plan de conquête israélien était faite le jour où le monde commémorait la fermeture du dernier camp nazi (Mathausen) en 1945. Les Etats-Unis et les droites européennes qui invitent les Palestiniens à «tourner la page» du passé et à accepter de partir devraient réfléchir au démenti qu’apporte cette coïncidence.
Puis la radio prend le relais: c’est un médecin urgentiste écœuré de ne pouvoir rien faire d’autre que regarder mourir des enfants mutilés, faute de médicaments, confisqués à l’aéroport.
Un autre magazine raconte ensuite la détresse des rescapés d’un bombardement qui tentent en vain de sauver les gens qu’ils entendent crier sous les décombres.
Impossible, à main nue, alors qu’à côté une trentaine de bulldozer et d’engins de chantiers ont été volontairement détruits par l’armée. C’est vicieux! Quant à la communication verbale, ce n’est pas mieux. Les messages à la population sont d’une cruauté glaçante: «Habitants de Gaza, la phase suivante sera beaucoup plus dure et vous en payerez le prix fort. Bientôt l’évacuation de la population des zones de combat reprendra. L’alternative, c’est la destruction et la dévastation complètes».
On lit, on regarde, on écoute, les tripes nouées, le cœur serré, les yeux humides. Arrêtez! Qui peut le hurler assez fort, quand les forts sont du côté des génocidaires?
A Gaza comme en Cisjordanie, ce n’est pas une guerre qui se déroule mais une entreprise de déshumanisation et de liquidation. Après le 7 octobre 2023, l’armée, des ministres et d’autres n’hésitèrent pas à traiter les Gazaouis d’«animaux humains». L’usage répétitif (notamment par Donald Trump), de termes tels que «faire le ménage à Gaza», ou «nettoyer le territoire» fonctionne dans le même sens, comme si les Palestiniens n’incarnaient que désordre et poussière.
La «guerre» a ceci de particulier qu’elle se déroule à la maison, en quelque sorte, pour les deux camps, l’un au rez-de-chaussée, l’autre au sous-sol. Leur histoire commune de près de quatre-vingt ans attise chez le plus fort une régression vengeresse, et les déplacements constants des plus faibles; de même que les attaques de colons contre les Palestiniens de Cisjordanie ne font que prolonger la Nakba, l’exode de 1948. En ce temps-là les plus de 700 000 Palestiniens chassés de leurs villages partirent en emportant, symboliquement, la clé de leur maison, gage du droit au retour qui leur fut concédé par l’ONU avec le statut de réfugiés.
Aujourd’hui, les Palestiniens de Gaza et de Cisjordanie sont poussés dehors avec rien, pas même la clé du retour, enfouie sous les décombres.
Cet affrontement dépasse l’incursion barbare du Hamas du 7 octobre 23. C’est terrible de penser qu’elle n’était peut-être destinée qu’à rappeler l’existence du peuple palestinien, quitte à réactiver la détermination sioniste des Israéliens: hélas, une opération utile aux deux camps… Il faut rappeler en effet que pour les premiers juifs à s’installer dans la contrée, avant même 1948, elle était une «terre sans peuple pour un peuple sans patrie». Jusqu’à aujourd’hui, aux yeux d’Israël, les Palestiniens n’ont jamais constitué un peuple: des Arabes, des cultivateurs d’oliviers, des nomades éleveurs de chèvres…
C’est ignorer la richesse culturelle de ce pays, son histoire, l’attachement de ses habitants à leur terre. «Le patrimoine, ce n’est pas un tas de cailloux», affirme Shatha Safi, gardienne des trésors culturels de Gaza2> Le Temps, 9 mai 2025.. «Ce n’est pas quelque chose de figé au fond d’un musée. C’est ce lien qui nous permet, à nous Palestiniens, d’être reliés, comme la nation que nous sommes.»
C’est cette détermination, cette résilience, qui me pousserait à ajouter un point d’interrogation à la «douleur sans fin». C’est au contraire l’inaction de nos gouvernements qui provoque le doute et la désolation. La Suisse, elle, s’endort dans un silence emprunté. Le parlement a voté une loi qui vient d’entrer en vigueur pour interdire le Hamas. Quel courage! Quel à propos! En revanche, les populations tolèrent de moins en moins cette passivité complice. Les manifestations populaires se multiplient; le médecin écœuré que j’évoquais plus haut organise une marche mondiale de protestation de l’Egypte à Gaza. Une lettre ouverte signée par près de mille réservistes de l’armée de l’air, appelant la fin des combats a provoqué une onde de choc en Israël.
Quant à moi, je reste avec la petite musique de la gardienne du patrimoine: «Gaza comptait 371 bâtiments historiques dont 200 au moins ont été détruits ou endommagés: nous avons tous les plans, toutes les histoires. Nous sommes prêts pour le jour où il sera possible de reconstruire.»
Notes