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Hommage aux petites mains de l’hôtellerie

Les écrans au prisme du genre

Un regard valorisant sur les femmes de chambre noires d’un grand hôtel en grève. Frotter, frotter1>Frotter, frotter (2025), mini-série française (4 épisodes) diffusée sur France 2, créée par Hélène Le Gal, Laure Mentzel et Mélusine Laura Raynaud, réalisée par Marion Vernoux, avec Bintou Ba, Eye Haïdara, Jisca Kalvanda, Berthe Tshiala, Emilie Caen, Karole Rocher. est une fiction inspirée par la grève des femmes de chambre de l’hôtel Ibis Batignolles qui a duré presque deux ans (2019-2021) et a abouti à une augmentation de salaire, une indemnité de repas, l’égalité de traitement avec les salarié·es d’Accor et la diminution des cadences. La réalisatrice Marion Vernoux déclare s’être aussi fortement inspirée du documentaire de 2013, On a grévé de Denis Gheerbrant. Le point commun de ces grèves est qu’elles sont menées par des femmes africaines employées par des sous-traitants qui les soumettent à des maltraitances, du harcèlement et des conditions de travail et de salaire indignes.

Ecrite, produite et réalisée par des femmes, la série met en avant dans les rôles de femmes de chambre des actrices noires et s’efforce de rendre compte des situations particulières de ces employées au statut souvent précaire, soumises à de multiples pressions, y compris celles de leur mari, avec les charges familiales qui pèsent sur elles. Le scénario met l’accent sur l’efficacité du système d’exploitation qui passe par la sous-traitance: le petit patron de l’agence qui les emploie est lui-même soumis à un contrat léonin avec le groupe hôtelier. Et l’enjeu pour les grévistes est d’être reçues par la direction du groupe, ce qu’elles mettront des mois à obtenir. C’est sur cette victoire que se clôt la série. Plusieurs séquences sont réjouissantes: la soirée de solidarité dans une boîte lesbienne, la tournée de Solange et Michèle pour déclencher des grèves dans les hôtels du groupe, la création d’un clip de rap pour soutenir le mouvement par le mari de Solange, la prise en charge des réseaux sociaux par les enfants des grévistes…

On peut discuter la vraisemblance des formes choisies pour dramatiser la situation, en particulier s’agissant des deux rôles de femmes blanches. Michèle (Karole Rocher), la femme de chambre lesbienne butch qui a fait de la prison et cherche constamment la bagarre; le camion aux couleurs LGBT qu’elle conduit dans le 4e épisode semble un hommage à Gazon maudit (1994, Josiane Balasko). Fanny (Emilie Caen), bourgeoise au foyer et mère d’un adolescent, qui se retrouve quasiment SDF quand son mari la largue à la cinquantaine (on ne comprend pas pourquoi elle refuse la pension alimentaire qu’il lui propose) et tente de renouer avec le métier d’avocate qu’elle a abandonné pour élever son fils; colocataire dans une maison vide pour cause de succession, sa liaison avec un éboueur qu’on ne verra jamais travailler est peu crédible, compte tenu de son profil de bourgeoise, et l’incompétence dont elle fait preuve pour défendre les grévistes l’est encore moins.

Les rôles des femmes de chambre noires sont mieux écrits, sans doute parce qu’ils s’inspirent plus directement d’une réalité bien documentée. Marion Vernoux a recruté des actrices professionnelles qui ont fait leurs preuves, en particulier la franco-malienne Eye Haïdara qui incarne la gouvernante Solange, celle qui initie et anime la grève et qui a réellement le rôle principal en termes de présence à l’image et de moteur narratif. Elle a débuté en 2007 dans Regarde-moi d’Audrey Estrougo; on la retrouve dans La Taularde (2015) de la même réalisatrice; elle se partage entre théâtre, cinéma et télévision. Après Le Sens de la fête (2017) d’Olivier Nakache et Eric Toledano où elle incarne l’adjointe d’un organisateur de mariage (joué par Jean-Pierre Bacri), rôle qui lui a valu le César du meilleur espoir féminin, elle fait une performance remarquable en étudiante gravement dépressive dans la saison 2 de la série En thérapie (2022).

En dessinant des portraits de femmes noires avec une grande diversité d’âge, d’apparence et de situation, Frotter, frotter les fait sortir de l’anonymat dans lequel la société française les maintient, à travers le stéréotype de «l’immigrée en situation irrégulière». Cette série marque indubitablement une étape dans la fiction audiovisuelle française en termes de diversité et d’inclusion, qu’il s’agisse des questions de genre, de classe ou de «race».

Notes[+]

Geneviève Sellier est historienne du cinéma, www.genre-ecran.net

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