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En Afrique, le retour du parti unique?

Est-ce bien raisonnable?

Les pays africains sont-ils condamnés à des simulacres d’élections présidentielles, à des scores «à la soviétique», à l’élimination des candidats présentant une menace pour les régimes en place? Les scénarios auxquels nous assistons en ce début d’année 2025 ont bel et bien des airs de déjà-vu, qui rappellent le temps des partis et des candidats uniques.

C’est ainsi que le 12 avril dernier au Gabon, le général putschiste Brice Oligui Nguema, tombeur de la dynastie Bongo en août 2023, était proclamé vainqueur de l’élection présidentielle, avec un score de 94,85%! Du jamais-vu dans un pays pourtant dirigé par la même famille de 1967 à 2023. Ni le fondateur de la dynastie, Omar Bongo, ni son fils Ali Bongo qui lui succéda à sa mort, n’avaient connu de scores aussi élevés – hormis les scrutins où Bongo père était candidat unique, en 1973, 1979 et 1986. D’autres candidats étaient pourtant en lice ce 12 avril. Le principal rival n’a obtenu que 3,11% des suffrages, tandis qu’aucun des six autres prétendants n’a dépassé la barre des 1%! Visiblement, les vieilles habitudes pratiquées dans un contexte de parti unique ont la vie dure. Le principal opposant, Alain-Claude Bilie-By-Nze, par ailleurs ex-pilier du régime d’Omar Bongo, a même renoncé à déposer un recours à l’issue d’élections qu’il qualifie d’«opaques et contestables»; ses chances étaient en effet minimes, le président de la Cour constitutionnelle étant le frère du nouvel homme fort du Gabon, élu pour un mandat de 7 ans. Fermez le ban.

Autre pays, autre scénario. En Côte d’Ivoire, où se tiendront des élections présidentielles en octobre 2025, on s’achemine vers un scrutin duquel les principaux opposants au président Alassane Ouattara sont mis hors jeu. Après Laurent Gbagbo, Guillaume Soro, Charles Blé Goudé, c’est au tour de l’ex-directeur général de Credit Suisse, Tidjane Thiam, de se voir stoppé net dans sa quête du pouvoir. Le 22 avril, un tribunal d’Abidjan l’a en effet radié de la liste électorale, estimant, selon un article du code de la nationalité, qu’il avait perdu sa nationalité ivoirienne après avoir demandé et obtenu la nationalité française en 1987. Cette même nationalité française à laquelle il avait renoncé au mois de mars dernier afin de se présenter à la présidentielle, un scrutin pour lequel un candidat ne peut pas être binational. Tidjane Thiam, actuellement absent de Côte d’Ivoire, se verrait même interdire tout retour à Abidjan, où, depuis plusieurs semaines, les gros titres de la presse nationale rivalisent d’arguties à propos de sa nationalité. Si les partisans de Tidjane Thiam crient à la manœuvre politique, ce qui frappe, c’est le sentiment de totale impunité du pouvoir en place qui se permet d’écarter les uns après les autres les ténors de l’opposition. Pour laisser la voie libre à un possible quatrième mandat du président Alassane Ouattara, 83 ans, au pouvoir depuis quinze ans, alors que la Constitution limite le nombre de mandats à deux? L’appel à manifester dans tout le pays contre la décision du tribunal n’a pas rencontré un grand succès, alors que la population demeure traumatisée par les violences post-électorales des derniers scrutins.

Le contexte géopolitique actuel va-t-il rendre acceptable des élections au rabais? En Afrique de l’Ouest, la Côte d’Ivoire est entourée de pays qui rejettent peu ou prou la France, et plus largement l’Occident, pour se tourner vers la Russie et la Chine. Il est donc peu probable que Paris ou d’autres capitales européennes tiennent rigueur au président ivoirien si celui-ci confirme sa volonté de se présenter à nouveau, sans véritable challenger face à lui. Au Gabon, le coup d’Etat qui avait renversé le clan Bongo ne s’est pas soldé par une volonté de remettre en cause les liens privilégiés avec Paris. C’est certainement la raison pour laquelle le président Emmanuel Macron a aussitôt appelé Brice Oligui Nguema pour le féliciter chaleureusement pour sa victoire, malgré un score «à la soviétique».

Catherine Morand est journaliste.

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