Au cours d’une carrière scientifique centrée sur les humains et leurs comportements, il m’est arrivé de tenter un bilan de connaissances classées selon leur degré de vraisemblance. Bien sûr, en bon disciple de la philosophie poppérienne, je ne prétends à aucune certitude, mes connaissances restant datées dans une histoire et pouvant toutes être remises en question face à des faits nouveaux. Mais quand même! La biologie, entre autres, nous construit une représentation de nous-mêmes de plus en plus détaillée, confirmée par une multitude d’observations et d’expériences, formant une théorie, incomplète comme toutes les théories, mais très robuste confrontée à notre réalité. Parmi les déficits de cette théorie figure l’absence de définition cohérente de la conscience.
Si cette dernière a fait noircir des tonnes de livres aux philosophes, aux romanciers et à bien d’autres, il est nettement plus difficile de la caractériser, de façon claire, en termes de neurobiologie, que ce soit chez les humains ou les autres animaux. Par un réflexe mathématique, on cherche souvent à la définir par son contraire, le sommeil profond, ou sa fin, la mort. Avec du flou dans le premier cas (le sommeil paradoxal et l’expression de l’«inconscient» dans les rêves, ou bien le sommeil léger, si facile à interrompre, relèvent-ils vraiment de la perte de conscience?). Quant à la mort, on connaît bien son aboutissement à la destruction totale de l’organisme, mais même ses définitions légales ont varié en se basant sur l’arrêt respiratoire, puis cardiaque, puis cérébral, ce dernier n’étant pas toujours simple. Toujours est-il que la conscience est l’affaire d’un cerveau en bon état de marche et que la destruction de ce dernier y met un terme dont la science – actuelle bien sûr! – ne permet pas de douter.
Le grand désespoir que cette observation simple produit chez beaucoup d’humains a conduit notre espèce à chercher toutes les occasions de la remettre en cause et à inventer les croyances les plus absurdes pour prolonger notre contrat de conscience limité. Aux raisons personnelles s’ajoutaient des raisons sociales: pas question de tolérer une ultime liberté à ceux qui vont disparaître, pas question de disparaître sans rendre des comptes, au moins dans le futur, si improbable soit-il. Pas question de laisser les Pierrot le Fou se multiplier! Contre toute bonne science et bon sens, on inventa donc des mythologies et des dimensions illimitées d’ordre quatre et plus, dans lesquelles on pourrait, comme disait Foucault, surveiller et punir. La crédulité des enfants et des masses populaires manipulées étant ce qu’elle est, ce système fonctionne bien tant que les religions tiennent la science en laisse, en torturant et tuant autant que nécessaire, et tant que les arbitraires de chaque théologie ne se confrontent pas trop.
Ce qui n’est plus le cas aujourd’hui, dans un monde ouvert par la communication et où la science et sa méthode furent parfois respectées tant que leurs fondamentaux ne sortaient pas des laboratoires. De nos jours, tous les pouvoirs reposent sur des technologies de production, de communication et de coercition issues de connaissances scientifiques. Le temps n’est plus où Lyssenko ruinait l’agriculture soviétique en faisant interdire la génétique par Staline. Mais quand Trump interdit les recherches sur le réchauffement climatique, il fait peut-être pire. Pourtant, son ami Musk et les entreprises qui ont permis sa prise de pouvoir dépendent d’une science qui n’est ni partageable ni négociable. On attend avec intérêt de savoir comment il va tenter de sortir de ces contradictions. Musk et lui ont de longue date mérité les enfers dont menacent les religions de leurs supporters. Qu’espèrent-ils, pour après leur mort, à travers les multiples enfants qu’ils font à de multiples partenaires? Il sera intéressant, aussi, de connaître les réactions des familles télévangélistes et catholiques intégristes, qui les ont élus, aux paternités contractuelles, limitées à l’éjaculation et à l’argent, de Musk…