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Un malaise nommé Monteiro

Cinéma

En janvier 2024, la comédienne Judith Godrèche dénonçait l’emprise du cinéaste Benoît Jacquot, dont elle fut la «muse» et la compagne dès l’âge de 14 ans. «Faire du cinéma est une sorte de couverture pour des mœurs de ce type-là», avouait crânement le réalisateur dans un documentaire tourné en 2011. L’écho médiatique de ces révélations avait alors incité une partie de la critique française à faire un timide mea culpa, pour avoir porté aux nues un auteur qui n’hésitait pas à mettre en scène ses fantasmes pédocriminels dans ses films.

On pensait assister enfin à la nécessaire remise en question d’une critique complaisante, complice d’un système où le génie artistique autorise toutes les transgressions1>Lire Geneviève Sellier, Le Culte de l’auteur, La Fabrique éditions, 2024.. Or celle-ci reste réticente à déboulonner la statue des auteurs adoubés. En témoigne aujourd’hui le cas de João César Monteiro (1939-2003), dont les films restaurés sont réédités en DVD et à nouveau projetés en salles. Notamment à Genève, où les Cinémas du Grütli présentent depuis mi-avril sa trilogie de Dieu. Second volet de ce triptyque, La Comédie de Dieu (1995) est une apologie de la pédophilie. Sous les traits de son alter ego Jean de Dieu, le cinéaste portugais y sublime son désir sexuel pour une adolescente de 15 ans, dans des scènes érotiques qui suscitent un puissant malaise.

Dans leur numéro de février, les Cahiers du cinéma consacraient six pages au réalisateur, concédant en introduction que «sa représentation du désir masculin (…) peut aujourd’hui faire débat». Un article signé Olivia Cooper-Hadjian invitait ainsi à «Revoir la trilogie de Dieu», et surtout ce deuxième volet où «sublimant son corps dénudé par ses éclairages et sa mise en scène délicate, qui le dévoilent petit à petit, Monteiro invite son spectateur à en apprécier le potentiel érotique, et les attouchements de l’homme mûr sur cette très jeune femme ont vraiment lieu, devant la caméra». L’autrice conclut que ce film «vient entacher l’ensemble de la trilogie», mais il ne saurait assombrir l’aura du cinéaste, loué dans un autre article.

Mardi soir, les Cinémas du Grütli accueilleront le critique Marcos Uzal pour une discussion autour de la trilogie de Dieu. L’occasion d’évoquer son caractère pédocriminel? On peut en douter. L’actuel rédacteur en chef des Cahiers du cinéma ayant collaboré à un ouvrage collectif à la gloire du réalisateur2>Pour João César Monteiro, Ed. Yellow Now, 2004., décrit comme un «dandy libertin-libertaire, poète surréaliste, redoutable provocateur, lutin tragi-comique, insoumis toujours désirant», «un cinéaste pleinement singulier, dont le feu ne cesse de brûler». Aujourd’hui comme hier, ce discours-là est tout simplement indéfendable.

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