Édito

Paillettes et politique

Paillettes et politique 1
(Photo by Joel C Ryan/Invision/AP)
Cinéma

Le Festival de Cannes s’est terminé samedi avec la révélation d’un palmarès à coloration politique. Le Prix du jury va au controversé Capharnaüm de Nadine Labaki (évoquant une enfance meurtrie à Beyrouth); le Grand Prix revient à Spike Lee et son BlacKkKlansman, comédie antiraciste adressée à Trump; Samal Yesyamova décroche le Prix d’interprétation en réfugiée kirghize à Moscou dans Ayka de Serguei Dvortsevoy, entre autres distinctions saluant des films humanistes – à commencer par la Palme d’or à Une Affaire de famille du Japonais Hirokazu Kore-eda.

A travers les choix de ses jurés ou dans sa programmation, Cannes prétend volontiers défendre un cinéma qui serait «miroir du monde». La sélection officielle accueille ainsi son lot de films à thème (autant d’alibis selon leurs détracteurs); des œuvres parfois interdites dans leur pays ou dont les auteurs sont assignés à résidence: l’Iranien Jafar Panahi et le Russe Kirill Serebrennikov pour cette édition – mais pas Godard, retenu à Rolle de son plein gré.

Evénement médiatique autant que culturel, le festival s’affiche aussi en tribune politique au-delà des films projetés. On pourrait s’en réjouir, mais ces accents engagés sonnent un peu faux sur le tapis rouge cannois. Question de contrastes. Comme s’ils trahissaient surtout la mauvaise conscience d’une manifestation qui doit sa renommée à son aura glamour, et qui reste perçue comme un rendez-vous mondain déconnecté de la réalité.

Hypocrisie ou schizophrénie, ce décalage coupable était particulièrement évident dans les élans post-Weinstein de cette 71e édition. Alors que le festival est régulièrement critiqué pour son machisme, Cannes 2018 se voulait résolument féministe: Cate Blanchett présidant un jury à majorité féminine; la montée des marches de 82 femmes, en écho au nombre de réalisatrices sélectionnées en compétition depuis 1946 contre 1688 réalisateurs (trois sur vingt et un cette année), suivie par la signature d’une charte visant la parité en 2020; ou encore sa déclinaison afro-féministe avec seize comédiennes qui témoignent des discriminations subies dans l’ouvrage collectif Noire n’est pas mon métier. Des images fortes qui ont fait le tour du monde.

Une opération de «blanchiment féministe» réussie? C’était compter sans l’actrice et cinéaste Asia Argento, qui a jeté un froid en pleine cérémonie de clôture: «En 1997, j’ai été violée par Harvey Weinstein, ici même à Cannes. J’avais 21 ans. Ce festival était sa chasse gardée. (…) Toute une communauté lui a tourné le dos, même ceux qui n’ont jamais dénoncé ses actes. Et parmi vous, dans le public, il y a ceux qu’on devrait pointer du doigt pour leur comportement envers les femmes. (…) Vous savez qui vous êtes. Plus important encore: nous savons qui vous êtes. Et nous n’allons pas vous permettre de vivre dans l’impunité.» On apprenait peu après qu’une plainte pour viol avait été déposée contre Luc Besson, président du jury à Cannes en 2000.

Opinions Édito Mathieu Loewer Cinéma

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