Édito

Fondu au noir

Fondu au noir
Le Dieu du cinéma, Jean-Luc Godard, est décédé. KEYSTONE.
Cinéma

Dieu est mort. Enfin, celui du cinéma. Car aucun réalisateur n’aura marqué son art autant que Jean-Luc Godard, ni joui d’une aura aussi incontestée que celle de l’ermite de Rolle, dont la presse venait religieusement recueillir les oracles. Pas dupe, rétif aux hommages, JLG jouait avec malice de ce statut – inscrit dans le patronyme même de cet amateur de jeux de mots. Et pourtant, il est bien l’auteur d’une œuvre exceptionnelle, qui compte quelque 150 films de tous genres, supports et formats, au fil d’une carrière déployée sur six décennies. De la révolution de la Nouvelle Vague aux expérimentations de son Livre d’image, en passant par l’expérience collective du Groupe Dziga Vertov ou les montages vidéo de sa série Histoire(s) du cinéma, le cinéaste franco-suisse n’aura jamais cessé de se réinventer, pour forger un langage audiovisuel sans équivalent.

S’il reste une référence incontournable pour plusieurs générations de cinéphiles et de cinéastes, qui peut aujourd’hui prétendre rivaliser avec un tel modèle? Quel réalisateur ou réalisatrice peut revendiquer une liberté à l’égal de la sienne, qui autorisait toutes les audaces? Avec Godard, c’est une haute idée du septième art qu’on enterre, un cinéma qui n’a désormais plus sa place dans les salles obscures – lucide, Godard avait choisi de montrer Le Livre d’image en marge du circuit commercial1>Encore à l’affiche au Zinéma lausannois . Le constat se confirme avec la reprise post-Covid: à l’heure où meurent les cinéastes qui ont vécu son âge d’or, le cinéma d’auteur n’attire plus les foules. Décédé dimanche, Alain Tanner posait déjà le même diagnostic en 2009: «Ces films-là sont condamnés.»

C’est là le paradoxe du cas Godard. Tout le monde connaît son nom, mais qui a vu ses films? Aux yeux du grand public, l’artiste se confond avec son personnage de trublion médiatique qui jouait l’Arlésienne à Cannes, à l’image du réalisateur au cigare de producteur et aux aphorismes cryptiques. Pire, pour le profane, il incarne l’archétype du cinéaste abscons, dont les films seraient autant d’énigmes impénétrables. Non sans raisons, son œuvre n’étant pas des plus aisées à appréhender. Elle se donne comme une quête permanente dont chaque titre est une étape, comme un tout supérieur à la somme de ses parties. Pour l’apprécier, il faut s’y plonger tout entier. Une rétrospective à la Cinémathèque suisse en offrira bientôt l’occasion.

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Opinions Édito Mathieu Loewer Cinéma

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