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Lui faire face

A livre ouvert

Si les premières lignes d’un ouvrage sont souvent essentielles pour comprendre pourquoi nous nous lançons ou non dans une lecture donnée, ses dernières lignes ne le sont pas moins, surtout s’il s’agit d’expliquer pourquoi nous nous décidons de la prolonger en en parlant autour de nous.

Le livre d’Alain Roy Le cas Trump1>Alain Roy, Le cas Trump: portrait d’un imposteur, Ecosociété, 2025. ne dérogeant pas à cette règle, il me faut commencer cette chronique en citant ses toutes dernières lignes: «Nous pouvons commencer par dire à ceux et celles qui nous entourent qui est réellement Donald Trump et exiger de nos dirigeants qu’ils fassent de même dans leurs échanges avec les représentants des Etats-Unis. Pourquoi devrions-nous transiger avec un homme qui est un criminel, un sociopathe, un menteur compulsif dont la parole ne vaut rien? Qui voudrait faire de prétendus deals avec un escroc dont le seul but est de profiter de l’autre en l’intimidant avec les procédés d’un chef mafieux?»

Rembobinons le fil, car la charge est lourde. Et commençons par la dernière question posée par Alain Roy en remarquant qu’elle nous ramène simplement quelques semaines en arrière, à l’heure du dit «Jour de la libération» lorsque étaient annoncés de nouveaux tarifs douaniers s’appliquant à quiconque souhaitait vendre ses marchandises sur le marché étasunien. Le moment de sidération passé, les pays concernés comprenaient que ces taxes avaient un but: leur forcer la main pour qu’ils acceptent un deal à l’avantage des Etats-Unis. La ficelle était grosse mais allait fonctionner pour bon nombre d’entre eux. Pour ce qui est du qualificatif de «chef mafieux», l’épisode de la reculade et de l’avantage indu (et illicite) conféré à ceux parmi ses proches qui pouvaient l’anticiper, le décor est désormais planté: nous parlons bien d’un «capitalisme de malfrats».

Quant à l’avant-dernière question et sa remarque liminaire, elles exigent qu’on se retourne sur le livre en soi. Son auteur, Alain Roy, l’a écrit car il souhaite simplement savoir qui est Donald Trump. La question peut sembler rhétorique mais elle ne l’est pas du tout et ce pour une raison toute simple: «Donald Trump est passé maître dans l’art de faire parler de lui, mais sans qu’on parle de sa personne.» Pour que le personnage ne prenne plus le pas sur la personne, pour que nous sachions réellement qui est Trump, Alain Roy va mener une double «exploration».

Tout d’abord assister durant l’hiver 2024 à l’un de ses meetings à Manchester (New Hampshire) – une expérience proprement hallucinante. Ensuite plonger dans les nombreux témoignages et enquêtes qui lui ont été consacrés au fil des années.
Inutile de s’appesantir sur le contenu des journées de Trump lors de son premier mandat – un cinquième de son temps passé à jouer du golf, apparition dans le bureau ovale qu’à partir de 11h ou 11h30, nombreuses heures passées à regarder la télévision «pour voir ce qu’on disait de lui»… – ou de s’intéresser de près aux stratégies de son staff pour «éviter de donner suite à ses demandes les plus insensées», encore que là ça devienne proprement fascinant.

Mieux vaut s’intéresser à son enfance, à ses années de formation, à ses premiers pas dans le monde des affaires, à ses déboires subséquents. De façon étonnante ce n’est pas le Trump «matamore» que nous découvrons mais un être «qui a des comportements de fuite, d’évitement, de lâcheté», qui est confronté à ses propres faiblesses, qui ne parvient pas à assimiler ce que vous dites ou à lire des livres, des documents. Un homme «psychologiquement carencé» qui, pour se protéger, va mettre en place des stratégies d’évitement et surtout mentir, mentir, mentir; son plus gros mensonge étant celui qui le désigne comme un «self-made man», alors qu’il n’est rien d’autre qu’un fils-à-papa.

Passionnante, cette enquête d’Alain Roy l’est sans conteste. Mais elle est plus que cela. Parce qu’elle a vocation à synthétiser des choses que l’on est censé connaître sur le cas Trump et que les médias ont longtemps rechigné à dire trop clairement ou qu’alors nous avons voulu trop vite oublier, pour je ne sais quelles raisons, cette enquête nous oblige.

Comme le rappelle l’auteur, «lorsqu’on le cerne plus clairement, Donald Trump ne devient pas moins inquiétant; mais nous savons un peu mieux à quoi nous attendre et comment lui faire face.»

 

Notes[+]

Alexandre Chollier est géographe, écrivain et enseignant.

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