Une indiscrétion, peut-être volontaire, m’a fait parvenir la transcription d’échanges récents des autorités étasuniennes. Ces échanges impliquent essentiellement Donald Trump, Elon Musk, J.D. Vance, un conseiller militaire et une personne non identifiée, d’origine texane, représentant manifestement le lobby extractionniste, que nous appellerons «le Texan». Trump qui, contrairement à sa réputation, joue aussi au bridge, ou du moins en a entendu parler, se lamentait de n’avoir, avec le Canada, que cinquante et un Etats dans l’union. Cinquante et un, ce n’est pas une donne, ce n’est que trois fois dix-sept, même pas de quoi faire deux équipes pour le championnat de golf! Si seulement on en avait cinquante-deux…

Le conseiller militaire suggéra alors, puisqu’on achetait le Groenland aux Danois, toujours prêts à vendre n’importe quoi, d’en faire le cinquante-deuxième Etat. Mais Trump se méfiait des Inuits qui, bien que si peu nombreux, avaient réussi à être presque tranquilles chez eux pendant très longtemps. C’est alors que le Texan suggéra un pays plein de négociateurs en énergies fossiles, de banques souples, d’or et d’autres merveilles: Switzerland! Les objections fusèrent alors de toute part: Musk fit remarquer que le Swaziland s’appelait désormais Eswatini, était en Afrique, plein de Noirs et d’animaux sauvages. Alors, le conseiller militaire lui conseilla de régler ses sonotones aussi bien que ses satellites et rappela qu’il s’agissait de Switzerland et non Swaziland! Vance rebondit: mais ils n’ont ni pétrole ni terres rares là-bas, et ils sont en Europe wokiste! Le Texan affirma alors que, sans ressources naturelles, la Suisse contrôle un pourcentage secret mais considérable des ressources mondiales en énergies fossiles, grâce à ses négociants, autant à l’aise avec les oligarques de Poutine qu’avec les producteurs des autres pays.

Le conseiller militaire ajouta des éléments politiques extrêmement convaincants: si la Suisse est géométriquement en Europe, elle ne fait partie ni de l’UE ni de l’OTAN. Par ailleurs, son parti politique dominant, l’UDC, présente d’intéressantes convergences avec le mouvement MAGA. Mais il ne peut pas revendiquer de rendre la Suisse grande à nouveau, vu qu’elle a toujours été petite! L’intégrer à un ensemble potentiellement grand ne pourrait que flatter les suprémacistes helvètes, surtout si on supprimait les impôts et les universités. En plus, même dans les universités locales, pourtant très wokistes, un lobby soutient l’abandon des patois locaux pour un mauvais anglais international, comme le nôtre, et un autre défend sans réserves la colonisation étasunienne en Palestine… Ajoutons à ces conditions de rêve qu’ils nous ont acheté et commandé tellement d’armes et d’avions militaires qu’il suffirait de ne pas honorer les commandes pour neutraliser leur armée! En plus, dans ce pays épris de paix qui n’a pas connu de guerre sur son territoire depuis longtemps, des autorités très raisonnables ne manqueront pas de tout faire pour éviter toute confrontation. Comme ils sont hyperconnectés, il convient donc de les aborder par les réseaux sociaux. Elon peut proposer de financer un réseau W-UDC, à l’image de X, et les collaborateurs du président un réseau Swiss-Truth, qu’il faudra tout de même traduire parce que beaucoup ne parlent pas très bien anglais.

Dans de telles conditions, la Suisse demandera certainement d’elle-même, à la suite d’une votation proposée par l’UDC, à devenir le cinquante-deuxième Etat de l’Union. Il faudra juste respecter quelques traditions locales incompréhensibles: rétablir un secret bancaire intraitable, maintenir à tout prix des vaches dans le paysage, conserver un service militaire de milice, permettre la grande migration des habitants vers les stations de neige et les hôpitaux deux fois par an, ainsi que la production de chocolats, de drapeaux et de pendules à coucou¹>Sortes d’horloges colorées faisant un bruit considérable tous les quarts d’heure..

Que du bonheur en perspective!