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Le Courrier L'essentiel, autrement

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Démocratie, vraiment?

Quels moyens pour mettre en œuvre une citoyenneté démocratique qui n’exclut pas plusieurs catégories de personnes  – en particulier les migrant·es et les pauvres? Réunissant divers·es expert·es, représentant·es de l’administration, de la société civile et des élu·es autour de la question, une journée de débats organisée début décembre à Uni Mail par le Parti socialiste genevois a fourni des pistes de réflexion.
Participtation citoyenne

La législature étasunienne qui commence, la montée de l’extrême droite xénophobe, les propositions sans fin de la droite suisse de restreindre les droits de différents groupes: voilà quelques exemples récents d’événements qui auront l’effet d’exclure de plus en plus de gens des processus démocratiques. Il nous semble important de clarifier certaines des conditions nécessaires pour qu’une démocratie fonctionne.

Sachant qu’en démocratie il s’agit du demos, le peuple ou la population, la première condition à réaliser concerne les ayants droit. Si le cercle de ceux et celles qui prennent part aux processus démocratiques ne comprend pas toutes celles et tout ceux qui habitent le territoire, on ne peut parler de démocratie au sens complet. La décision sur le périmètre du cercle est éminemment politique, et ne relève en rien d’une appartenance automatique, historique ou «naturelle» à un groupe quelconque. Si nous nous disons «humanistes», il semble évident que le cercle doit inclure tous les «humains». Or cette condition est très loin d’être remplie: les 40% des habitant·es du canton sans passeport suisse ne peuvent toujours pas voter.

La deuxième condition est d’examiner de façon critique les excuses proférées pour l’exclusion. On entend souvent dire que les sujets sont trop complexes, que pour la majorité il est impossible de décider en connaissance de cause, et (sous-entendu) que cette circonstance soit rend la démocratie en tant que telle caduque, soit justifie pleinement les raccourcis honteux et les slogans contrefactuels que nous avons l’habitude d’entendre dans le discours public. Or nous avons – heureusement – un système non censitaire, où aucune propriété foncière ni examen d’intelligence ou de connaissances n’est requis pour pouvoir voter. Si nous prenons au sérieux la nature non censitaire de nos processus actuels, le droit de co-décider doit précéder la capacité de co-décider. D’évidence, des exigences de connaissances ou de langue sont un piètre argument contre le droit de vote ou la naturalisation des non-Suisses.

Pour introduire la troisième condition, nous avons besoin d’aborder un point sensible. Au vu des discriminations actuelles, nous croyons parfois déceler une certaine xénophobie inconsciente, même de la part de gens qui se disent exempts de telles tendances. Il ne faut pas oublier que la peur de l’étranger est un instinct naturel. Au cours de l’évolution biologique des humains, elle a servi de très importants buts. En tout état de cause, il reste évident, et désolant, de constater combien de discrimination les étranger·ères doivent subir. Or dans cette constellation un acquis essentiel des Lumières est en train de disparaître: chaque être humain a exactement la même valeur, et doit jouir des mêmes droits. Cela s’applique même à celles et ceux que l’on n’aime pas ou que l’on déconsidère – et même si la déconsidération est méritée.

Mais cette troisième condition de la démocratie (que l’on peut appeler la condition de l’inclusion) va bien au-delà du cas des non-Suisses. Les exclusions sont de différentes sortes, et des études ont démontré combien elles empêchent toutes une vraie participation dans les processus démocratiques. A part les prétextes à la discrimination (comme la couleur de la peau), une cause importante doit être relevée: une personne pauvre ou précaire, surtout si elle ne voit pas de perspectives d’amélioration, est effectivement exclue. Les expert·es ont démontré que les inégalités extrêmes, qui créent de la peur et de la précarité, produisent le rejet de l’autre, et qu’une réduction des inégalités mènerait à moins de xénophobie et de discrimination.

Pour progresser en démocratie, donc, notre voie est dessinée. Elle consiste au final en tout ce qu’il faut pour que chaque habitant·e, et non seulement les privilégié·es, prenne part aux processus démocratiques. Les pleins droits aux habitant·es non suisses et la réduction des inégalités en sont deux éléments essentiels.

Claudia Miccichè, Emmanuel Deonna, Gabriel Barta et Santiago Vallejo sont les  organisateurs de l’événement.